Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LE VICOMTE DE LAUNAY.

mobile pendant six heures, il faut se parer bien orgueilleusement du talent de ses amis… ou jouir bien délicieusement du ridicule de ses ennemis ! C’est l’exaltation qui nous tient au fort des supplices. Ah ! pour supporter celui-là sans se plaindre, il faut aimer ou haïr.

On a remarqué que, les jours où M. de Lamartine et M. Berryer doivent parler, il y a dans chaque tribune trois rangs de femmes. C’était une belle séance, celle où l’on a pu entendre ces deux grands orateurs ; nous avons bien regretté de n’être pas au nombre des privilégiés. M. Berryer, plaisanterie à part, a été plus admirable et plus entraînant que jamais. M. Berryer est non-seulement un brillant orateur, c’est aussi un grand artiste en éloquence. Comme le véritable artiste, il s’émeut, il s’agite, il devient la proie de son idée ; il brûle, il frissonne, il tremble, la fièvre de l’inspiration le dévore. Pour lui la tribune est le trépied.

Après cette belle improvisation de prophète, M. de Lamartine a prononcé un beau discours d’homme d’État, et soudain messieurs les journalistes se sont mis à crier : Au poëte ! Est-ce que c’est bien spirituel d’appeler toujours un homme politique du nom de sa profession ? Si l’on en faisait autant pour vous autres, messieurs, que diriez-vous ? Si, par exemple, au lieu de vous traiter en publicistes, on vous désignait aussi chacun par votre ancien métier ; si au lieu de dire : « Le Courrier français croit que l’Europe nous a offensés, » on disait : « M. Léon Faucher, précepteur des enfants de M. Dailly, croit que l’Europe nous a offensés ; » si au lieu de dire : « Le National accuse l’empereur de Russie de vouloir envahir le monde, » on disait : « Les marchands de bois du National accusent l’empereur de Russie de vouloir envahir, le monde ; » si au lieu de dire : « Le Constitutionnel conseille à M. le prince de Metternich, etc., etc., » on disait : « Les bonnetiers du Constitutionnel conseillent à M. de Metternich, etc., etc., » est-ce que vous trouveriez cela de bon goût ? Non sans doute. Eh bien alors, pourquoi reprochez-vous toujours, tous les matins, à M. de Lamartine d’être un poëte, et pourquoi ne voulez-vous pas absolument qu’un poëte fasse de la bonne politique, puisque vous en faites bien, vous autres, de la politique, vous