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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/93

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LETTRES PARISIENNES (1840).

tous les bienfaits de cette prévoyante législation. Enfin, aujourd’hui on a osé reconnaître que de certains courages, de certains exploits, de certaines vertus sublimes, inouïes, inappréciables, ne pouvaient trouver leur récompense que dans l’avenir ; disons mieux, que dans autrui. Oh ! n’est-ce pas noblement comprendre la pensée de ces hommes qui s’immortalisent par de grands dévouements que de leur dire : « C’est pour d’autres que vous avez travaillé ! » que de leur permettre d’être deux fois généreux, de donner leur gloire comme ils donné leur vie ? Croyez-vous, par exemple, qu’un soldat qui, comme M. le maréchal Oudinot, a eu l’honneur de recevoir pour son pays cinquante-sept blessures, puisse garder pour lui tout seul ce trésor-là ? Convenez-en, il a bien le droit de le distribuer dans sa famille et de mettre encore quelque chose de côté pour ses arrière-petits-enfants.

Eh bien, ce droit de succession, en fait d’orgueil, a été proclamé ce matin, en pleine Académie, par M. Dupin lui-même, avec beaucoup d’esprit et de courage, nous ne dirons pas avec beaucoup de désintéressement, car M. Dupin n’est déjà plus désintéressé dans la question. S’être fait, comme lui, par ses talents un nom célèbre et honorable, cela aide vite à comprendre les préjugés d’illustration.

Il n’y avait, dira-t-on, pas grand mérite à parler ainsi devant une assemblée si merveilleusement bien choisie pour apprécier de tels principes, devant un parterre presque entièrement composé de Montmorency, de Vintimille, de Crillon, de Craon, de Caumont, de Gramont, d’Osmond, de la Guiche, de Talleyrand, de Noailles, etc., etc. Non sans doute ; mais ce discours n’a pas été fait seulement pour être lu, il a été écrit aussi pour être publié ; ce qui devait être bien accueilli dans l’enceinte académique risque d’être fort mal pris au dehors ; ce qui était une flatterie ce matin est une grande témérité ce soir. Nous avons donc écouté avec un réel plaisir le discours de M. Dupin, d’abord parce qu’il était fort spirituel et très-intéressant, ensuite parce qu’il nous a fait l’effet d’un heureux symptôme : en voyant l’ancien président de la Chambre des députés secouer si franchement les idées envieuses du jour et se résigner si noblement à déplaire, nous avons pressenti qu’une réaction