Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 6.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mon rôle, si brillant, m’attriste et me fatigue.
Ce monde de bavards m’ennuie au dernier point.
Et malgré mes efforts, je ne le cache point,
Ma figure s’allonge, et je bâille, je bâille !

Edgar.

Quoi ! vous bâillez chez vous ?

Valentine.

Quoi ! vous bâillez chez vous ? Jusqu’à ce qu’on s’en aille.

Edgar.

C’est mal.

Valentine.

C’est mal.Vous ignorez cet horrible devoir,
Ce supplice flatteur qu’on nomme recevoir !
Le premier jour j’ai cru que j’en deviendrais folle.
Je ne pouvais trouver une seule parole.
Et puis je me perdais dans tous ces députés.
À dîner, j’en avais d’affreux à mes côtés :
Les deux plus laids.

Edgar.

Les deux plus laids.Sans doute, et c’est l’usage en France
À table vous devez donner la préférence
Toujours au plus infirme, au plus grave, au plus vieux.

Valentine.

Oui, c’est de très-bon goût, mais c’est très-ennuyeux.
Je n’aime pas non plus ces brillantes coquettes
Qui de leur protégé se faisant interprètes,
Viennent à mon mari glisser des billets doux.
J’ai peur : une audience est presque un rendez-vous.

Edgar.

Vous jalouse !

Valentine vivement.

Vous jalouse !Ah !… chassons cette idée importune,
Non, je n’ai de rivale encor que la tribune ;
Mais la cruelle sait mieux que moi le charmer.
Un ministre aujourd’hui n’a pas le temps d’aimer.
Le rapport du budget, le vote de l’adresse,
Sont des événements qui troublent la tendresse,
Et le plus vif amour a des distractions
Dans les jours orageux d’interpellations.