Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/30

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ses collègues à faire de la doctrine, et d’en faire lui-même à tout propos — comme il est facile de le voir dans les deux séries des sophismes économiques et dans les articles où il commençait déjà à discuter les systèmes socialistes.

En cela Bastiat ne s’est pas trompé. Il a rendu un immense service à notre génération, qui s’amusait à écouter les utopies de toute espèce comme une innocente diversion aux romans-feuilletons. Il a accoutumé le public à entendre traiter sérieusement les questions sérieuses ; il a réuni autour d’un drapeau, exercé par une lutte de tous les jours, excité par son exemple, dirigé par ses conseils et sa vive conversation, une phalange jeune et vigoureuse d’économistes, qui s’est trouvée à son poste de combat et sous les armes, aussitôt que la révolution de Février a déchaîné l’arrière-ban du socialisme. Quand le mouvement du libre-échange n’aurait servi qu’à cela, il me semble que les hommes qui, à différents titres, l’ont provoqué et soutenu auraient encore suffisamment bien mérité de leur pays.

Après la révolution de Février, Bastiat se rallia franchement à la République, tout en comprenant que personne n’y était préparé. Comme dans l’agitation du libre-échange, il comptait sur la pratique même des institutions pour y mûrir et façonner les esprits. Le département des Landes l’envoya comme député à l’Assemblée constituante, puis à la Législative. Il y siégea à la gauche, dans une attitude pleine de modération et de fermeté qui, tout en restant un peu isolée, fut entourée du respect de tous les partis. Membre du comité des finances, dont il fut nommé huit fois de suite vice-président, il y eut une influence très-marquée, mais tout intérieure et à huis clos. La faiblesse croissante de ses poumons lui interdisait à peu près la