Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/543

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

taire, que je crois devoir mettre quelque insistance à le repousser. Dans l’extrême jeunesse, quand nous venons d’échapper à l’atmosphère de la Grèce et de Rome, où l’université nous force de recevoir nos premières impressions, il est vrai que l’amour de la liberté se confond trop souvent en nous avec l’impatience de toute règle, de tout gouvernement, et, par suite, avec une puérile aversion pour les fonctions et les fonctionnaires. Pour ce qui me regarde, l’âge et la méditation m’ont parfaitement guéri de ce travers. Je reconnais que, sauf le cas d’abus, dans la vie publique ou dans la vie privée, chacun rend à la société des services analogues. Dans celle-ci, on satisfait le besoin qu’elle a de nourriture et de vêtement ; dans l’autre, le besoin qu’elle a d’ordre et de sécurité. Je ne m’élève donc pas en principe contre les fonctions publiques ; je ne soupçonne individuellement aucun fonctionnaire ; j’en estime un grand nombre, et je suis fonctionnaire moi-même quoiqu’à un rang fort modeste. Si d’autres ont plaidé la cause des incompatibilités, sous l’influence d’une étroite et chagrine jalousie ou des alarmes d’une démocratie ombrageuse, je puis poursuivre le même but sans m’associer à ces sentiments. Certes, sans franchir les limites d’une défiance raisonnable, il est permis de tenir compte des passions des hommes ou plutôt de la nature des choses.

Or, monsieur, quoique les fonctions publiques et les industries privées aient ceci de commun, que les unes et les autres rendent à la société des services analogues, on ne peut nier qu’elles diffèrent par une circonstance qu’il est essentiel de remarquer. Chacun est libre d’accepter ou de refuser les services de l’industrie privée, de les recevoir dans la mesure qui lui convient et d’en débattre le prix. Tout ce qui concerne les services publics, au contraire, est réglé d’avance par la loi ; elle soustrait à notre libre arbitre, elle nous prescrit la quantité et la qualité que nous en de-