Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

force brutale, et puis nous prenons tant d’intérêt aux questions religieuses ! nous sommes devenus si bons catholiques, si bons papistes, depuis quelque temps.

Affranchissement des échanges ! Quelle déception ! quelle chute ! Est-ce que le droit d’échanger, si c’est un droit, vaut la peine que nous nous en occupions ? Liberté de parler, d’écrire, d’enseigner, à la bonne heure ; on peut y réfléchir de temps en temps, à moments perdus, quand la question suprême, la question ministérielle, laisse à nos facultés quelques instants de répit, car enfin ces libertés intéressent les hommes qui ont des loisirs. Mais la liberté d’acheter et de vendre ! la liberté de disposer du fruit de son travail, d’en retirer par l’échange tout ce qu’il est susceptible de donner, cela intéresse aussi le peuple, l’homme de labeur, cela touche à la vie de l’ouvrier. D’ailleurs, échanger, trafiquer, cela est si prosaïque ! et puis c’est tout au plus une question de bien-être et de justice. Le bien-être ! oh ! c’est trop matériel, trop matérialiste pour un siècle d’abnégation comme le nôtre ! La justice ! oh ! cela est trop froid. Si au moins il s’agissait d’aumônes, il y aurait de belles phrases à faire. Et n’est-il pas bien doux de persévérer dans l’injustice, quand en même temps on est aussi prompt que nous le sommes à faire montre de charité et de philanthropie ?

« Le sort en est jeté, s’écriait Kepler, j’écris mon livre ; on le lira dans l’âge présent ou dans la postérité ; que m’importe ? il pourra attendre son lecteur. » — Je ne suis pas Kepler, je n’ai arraché à la nature aucun de ses secrets ; et je ne suis qu’un simple et très-médiocre traducteur. Et cependant j’ose dire comme le grand homme : Ce livre peut attendre ; le lecteur lui arrivera tôt ou tard. Car enfin, pour peu que mon pays s’endorme quelque temps encore dans l’ignorance volontaire où il semble se complaire, à l’égard de la révolution immense qui fait bouillon-