Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/313

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ser ; c’est celui où la prévoyance gouvernementale viendrait anéantir la prévoyance individuelle en s’y substituant. Il est de toute évidence que la charité organisée ferait, en ce cas, beaucoup plus de mal permanent que de bien passager.

Mais il ne s’agit pas ici de mesures exceptionnelles. Ce que nous recherchons, c’est ceci : la Loi, considérée au point de vue général et théorique, a-t-elle pour mission de constater et faire respecter la limite des droits réciproques préexistants, ou bien de faire directement le bonheur des hommes, en provoquant des actes de dévouement, d’abnégation et de sacrifices mutuels ?

Ce qui me frappe dans ce dernier système (et c’est pour cela que dans cet écrit fait à la hâte j’y reviendrai souvent), c’est l’incertitude qu’il fait planer sur l’activité humaine et ses résultats, c’est l’inconnu devant lequel il place la société, inconnu qui est de nature à paralyser toutes ses forces.

La Justice, on sait ce qu’elle est, où elle est. C’est un point fixe, immuable. Que la loi la prenne pour guide, chacun sait à quoi s’en tenir, et s’arrange en conséquence.

Mais la Fraternité, où est son point déterminé ? quelle est sa limite ? quelle est sa forme ? Évidemment c’est l’infini. La fraternité, en définitive, consiste à faire un sacrifice pour autrui, à travailler pour autrui. Quand elle est libre, spontanée, volontaire, je la conçois, et j’y applaudis. J’admire d’autant plus le sacrifice qu’il est plus entier. Mais quand on pose au sein d’une société ce principe, que la Fraternité sera imposée par la loi, c’est-à-dire, en bon français, que la répartition des fruits du travail sera faite législativement, sans égard pour les droits du travail lui-même ; qui peut dire dans quelle mesure ce principe agira, de quelle forme un caprice du législateur peut le revêtir, dans quelles institutions un décret peut du soir au lendemain l’incarner ? Or, je demande si, à ces conditions, une société peut exister ?

Remarquez que le Sacrifice, de sa nature, n’est pas,