autre pensée, et se sont donné une autre mission. Ils se sont mis en tête qu’ils devaient pondérer mon travail et celui du mineur. En conséquence, ils m’ont défendu de me chauffer avec du combustible belge, et quand je vais à la frontière avec mon meuble pour recevoir la houille, je trouve que ces fonctionnaires empêchent la houille d’entrer, ce qui revient au même que s’ils empêchaient mon meuble de sortir. Je me dis alors : Si nous n’avions pas imaginé de payer des fonctionnaires afin de nous épargner le soin de défendre nous-mêmes notre propriété, le mineur aurait-il eu le droit d’aller à la frontière m’interdire un échange avantageux, sous le prétexte qu’il vaut mieux pour lui que cet échange ne s’accomplisse pas ? Assurément non. S’il avait fait une tentative aussi injuste, nous nous serions battus sur place, lui, poussé par son injuste prétention, moi, fort de mon droit de légitime défense. Nous avions nommé et nous payions un fonctionnaire précisément pour éviter de tels combats. Comment donc se fait-il que je trouve le mineur et le fonctionnaire d’accord pour restreindre ma liberté et mon industrie, pour rétrécir le cercle où mes facultés pourront s’exercer ? Si le fonctionnaire avait pris mon parti, je concevrais son droit ; il dériverait du mien, car la légitime défense est bien un droit. Mais où a-t-il puisé celui d’aider le mineur dans son injustice ? J’apprends alors que le fonctionnaire a changé de rôle. Ce n’est plus un simple mortel investi de droits à lui délégués par d’autres hommes qui, par conséquent, les possédaient. Non. Il est un être supérieur à l’humanité, puisant ses droits en lui même, et parmi ses droits, il s’arroge celui de pondérer les profits, de tenir l’équilibre entre toutes les positions et conditions. C’est fort bien, dis-je, en ce cas, je vais l’accabler de réclamations et de requêtes, tant que je verrai un homme plus riche que moi sur la surface du pays. Il ne vous écoutera pas, m’est-il répondu, car s’il vous écoutait il
Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/540
Apparence