Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/549

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tion spéciale dans laquelle, au premier coup d’œil, il me semble que l’Utilité et la Justice se heurtent. Je me réjouis que tous les hommes qui ont passé leur vie à l’approfondir en jugent autrement ; je ne l’ai sans doute pas assez étudiée. » Je ne l’ai pas assez étudiée ! Est-ce donc un aveu si pénible que, pour ne pas le faire, on se jette dans l’inconséquence jusqu’à nier la sagesse des lois providentielles qui président au développement des sociétés humaines ? Car quelle plus formelle négation de la Sagesse Divine que de décider l’incompatibilité essentielle de la Justice et de l’Utilité ! Il m’a toujours paru que la plus cruelle angoisse dont un esprit intelligent et consciencieux puisse être affligé, c’est de trébucher à cette borne. De quel côté se mettre, en effet, quel parti prendre en face d’une telle alternative ? Se prononcera-t-on pour l’Utilité ? c’est à quoi inclinent les hommes qui se disent pratiques. Mais à moins qu’ils ne sachent pas lier deux idées, ils s’effraieront sans doute devant les conséquences de la spoliation et de l’iniquité réduites en système. Embrassera-t-on résolûment, et quoi qu’il en coûte, la cause de la Justice, disant : Fais ce que dois, advienne que pourra ? C’est à quoi penchent les âmes honnêtes ; mais qui voudrait prendre la responsabilité de plonger son pays et l’humanité dans la misère, la désolation et la mort ? Je défie qui que ce soit, s’il est convaincu de cet antagonisme, de se décider.

Je me trompe. On se décidera, et le cœur humain est ainsi fait qu’on mettra l’intérêt avant la conscience. C’est ce que le fait démontre, puisque partout où l’on a cru le régime protecteur favorable au bien-être du peuple, on l’a adopté, en dépit de toute considération de justice ; mais alors les conséquences sont arrivées. La foi dans la propriété s’est effacée. On a dit comme M. Billault : Puisque la propriété a été violée par la Protection, pourquoi ne le serait-elle pas par le droit au travail ? D’autres, derrière