Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/198

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femme, mes enfants !… Je consens à tout ; je signe. Prêtez-moi, par-dessus le marché, votre scie et votre hache, pour que je me fasse une cabane.

robinson. Oui-dà  ! J’ai besoin de ma hache et de ma scie. Il m’en a coûté huit jours de peine pour les fabriquer. Je te les prêterai cependant, mais à la condition que tu me donneras 99 planches sur 100 que tu fabriqueras.

le naufragé. Eh parbleu ! je vous rendrai votre hache et votre scie, et vous ferai cadeau de cinq de mes planches en reconnaissance de votre peine.

robinson. Alors, je garde ma scie et ma hache. Je ne t’oblige point. Je suis libre.

le naufragé. Mais vous ne croyez donc point en Dieu ! Vous êtes un exploiteur de l’humanité, un malthusien, un juif !

robinson. La religion, mon père, nous enseigne que « l’homme a une noble destination, qui n’est point circonscrite dans l’étroit domaine de la production industrielle. Quelle est cette fin ? Ce n’est pas en ce moment le lieu de soulever cette question. Mais, quelle qu’elle soit, ce que je puis te dire, c’est que nous ne pouvons l’atteindre, si, courbés sous le joug d’un travail inexorable et incessant, il ne nous reste aucun loisir pour développer nos organes, nos affections, notre intelligence, notre sens du beau, ce qu’il y a de plus pur et de plus élevé dans notre nature… Quelle est donc la puissance qui nous donnera ce loisir bienfaisant, image et avant-goût de l’éternelle félicité ? C’est le capital. » J’ai travaillé jadis ; j’ai épargné, précisément en vue de te prêter : tu feras un jour comme moi.

le naufragé. Hypocrite !

robinson. Tu m’injuries : adieu ! Tu n’as qu’à couper les arbres avec tes dents, et scier tes planches avec tes ongles.

le naufragé. Je cède à la force. Mais, du moins, faites-