Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/306

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vous uniquement comme souvenirs : c’est-à-dire qu’ils ne sont rien. Vous ne les niez point : mais comme il vous est impossible d’en suivre la filière et de les généraliser, vous n’en dégagez pas le contenu ; leur intelligence vous échappe. Votre faculté mnémonique, comme votre faculté d’attention et de comparaison, est nulle. Vous ne savez que répéter toujours la même chose : Celui qui prête à intérêt n’est point un voleur ; et nul ne peut être contraint de prêter. Que sert, après cela, de savoir si le crédit peut être organisé sur d’autres bases, ou d’examiner ce qui résulte pour les classes travailleuses de la pratique de l’intérêt ? — Votre thème est fait : vous ne vous en départez point. Et sur cela, après avoir exposé la routine usuraire, sous forme d’exemples, vous la reproduisez sous forme de propositions, et vous dites : Voilà la science !

Je vous l’avoue, Monsieur, j’ai douté un instant qu’il y eût sur la terre un homme aussi disgracié de la nature sous le rapport de l’intellect, et j’ai accusé votre volonté. Pour ma part, je préférerais mille fois être suspect dans ma franchise, que de me voir dépouillé du plus bel apanage de l’homme, de ce qui fait sa force et son essence[1]. C’est

  1. Quelques mois après la clôture de cette discussion, M. Proudhon, au nom d’une compagnie industrielle, demandait au gouvernement une garantie de 5 pour % d’intérêt, pour certaine entreprise de transports, entre Châlons et Avignon. Choqué d’une telle demande de la part de l’apôtre du crédit gratuit et de l’anarchie, Bastiat manifesta son impression par une lettre restée inédite, dont nous reproduisons les dernières lignes.

    « M. Proudhon, déplorant la faiblesse de mes facultés intellectuelles, disait : — Pour ma part, je préférerais mille fois être suspect dans ma franchise que de me voir dépouillé du plus bel apanage de l’homme, de ce qui fait sa force et son essence. — Que M. Proudhon le sache bien : j’accepte le partage. À moi l’humble intelligence qu’il a plu à Dieu de me départir ; à lui, puisqu’il le préfère, d’être suspecté dans sa franchise. » (Note de l’éditeur.)