Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/342

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J’en demande pardon à M. Proudhon, mais je suis forcé de lui dire que la justice ne se borne pas, comme la Cour des comptes, à examiner si la tenue des livres est régulière et si les comptes se balancent. Elle recherche de plus si on n’y a pas introduit des données fausses.

Mais, vraiment, M. Proudhon a une imagination sans pareille pour inventer des moyens commodes de s’enrichir, et, à sa place, je me hâterais d’abandonner le crédit gratuit, comme un appareil suranné, compliqué et contestable. Il est distancé, et de bien loin, par la comptabilité, qui est par elle-même la démonstration de la vérité de ses propres données.

Ayez deux sous dans la poche, c’est tout ce qu’il faut. Achetez une feuille de papier. Écrivez dessus un compte simulé, le plus californien que vous puissiez trouver dans votre cervelle. Supposez, par exemple, que vous achetez à bon marché et à crédit un navire, que vous le chargez de sable et de galets ramassés sur le rivage, que vous expédiez le tout en Angleterre, qu’on vous donne en échange un poids égal en or, argent, dentelles, pierres précieuses, cochenille, vanille, parfums, etc. ; que de retour en France les acheteurs se disputent votre opulente cargaison. Mettez à tout cela des chiffres. Dressez votre comptabilité en parties doubles. Ayez soin qu’elle soit exacte, — et vous voilà à même de dire de Crésus ce que M. Rothschild disait d’Aguado : « Il a laissé trente millions, je le croyais plus à l’aise. » — Car votre comptabilité, si elle est conforme aux lois de M. Juvigny, impliquera la vérité de vos données.

Il n’est encore parvenu à ma connaissance aucun moyen de s’enrichir plus commode que celui-là ; si ce n’est pourtant celui du fils d’Éole. Je le recommande à M. Proudhon.

« Il s’avisa d’aller dans tous les carrefours, où il criait sans cesse, d’une voix rauque : Peuples de Bétique, voulez-vous être riches ? Imaginez-vous que je le suis beaucoup et