Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/379

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Ce qui me confond, c’est qu’il puisse se rencontrer un homme qui se sente à l’aise dans une telle doctrine[1].

Car enfin, si elle est vraie, quelle en est la conséquence rigoureuse ? C’est qu’il n’y a d’activité, de bien-être, de richesses, de bonheur possibles que pour les peuples stupides, frappés d’immobilisme mental, à qui Dieu n’a pas fait le don funeste de penser, d’observer, de combiner, d’inventer, d’obtenir de plus grands résultats avec de moindres moyens. Au contraire, les haillons, les huttes ignobles, la pauvreté, l’inanition sont l’inévitable partage de toute nation qui cherche et trouve dans le fer, le feu, le vent, l’électricité, le magnétisme, les lois de la chimie et de la mécanique, en un mot dans les forces de la nature, un supplément à ses propres forces, et c’est bien le cas de dire avec Rousseau : « Tout homme qui pense est un animal dépravé. »

Ce n’est pas tout : si cette doctrine est vraie, comme tous les hommes pensent et inventent, comme tous, en fait, depuis le premier jusqu’au dernier, et à chaque minute de leur existence, cherchent à faire coopérer les forces naturelles, à faire plus avec moins, à réduire ou leur main-d’œuvre ou celle qu’ils payent, à atteindre la plus grande somme possible de satisfactions avec la moindre somme possible de travail, il faut bien en conclure que l’humanité tout entière est entraînée vers sa décadence, précisément par cette aspiration intelligente vers le progrès qui tourmente chacun de ses membres.

Dès lors il doit être constaté, par la statistique, que les habitants du Lancastre, fuyant cette patrie des machines, vont chercher du travail en Irlande, où elles sont incon-

  1. V. au tome IV, pages 86 et 94, les chap. xiv et xviii de la 1re série des Sophismes, et page 538, les réflexions adressées à M. Thiers sur le même sujet ; puis, au présent volume, le chap. xi ci-après. (Note de l’éditeur.)