Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/95

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à multiplier l’instrument de l’échange, ainsi qu’on le voit par l’exemple de vos joueurs, qui en furent quittes pour une déception fort bénigne. Alors pourquoi repousser la pierre philosophale, qui nous apprendrait enfin le secret de changer les cailloux en or, et, en attendant, le papier-monnaie ? Êtes-vous si entêté de votre logique, que vous refusiez une expérience sans risques ? Si vous vous trompez, vous privez la nation, au dire de vos nombreux adversaires, d’un bienfait immense. Si l’erreur est de leur côté, il ne s’agit pour le peuple, d’après vous-même, que d’une espérance déçue. La mesure, excellente selon eux, est neutre selon vous. Laissez donc essayer, puisque le pis qui puisse arriver, ce n’est pas la réalisation d’un mal, mais la non-réalisation d’un bien.

— D’abord, c’est déjà un grand mal, pour un peuple, qu’une espérance déçue. C’en est un autre que le gouvernement annonce la remise de plusieurs impôts sur la foi d’une ressource qui doit infailliblement s’évanouir. Néanmoins votre remarque aurait de la force, si, après l’émission du papier-monnaie et sa dépréciation, l’équilibre des valeurs se faisait instantanément, avec une parfaite simultanéité, en toutes choses et sur tous les points du territoire. La mesure aboutirait, ainsi que dans mon salon de jeu, à une mystification universelle, dont le mieux serait de rire en nous regardant les uns les autres. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. L’expérience en a été faite, et chaque fois que les despotes ont altéré la monnaie…

— Qui propose d’altérer les monnaies ?

— Eh, mon Dieu ! forcer les gens à prendre en paiement des chiffons de papier qu’on a officiellement baptisés francs, ou les forcer de recevoir comme pesant cinq grammes une pièce d’argent qui n’en pèse que deux et demi, mais qu’on a officiellement appelée franc, c’est tout un, si ce n’est pis ; et tous les raisonnements qu’on peut faire en faveur des