Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/108

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l’homme, isolement et vie s’excluant, on n’a jamais vu et on ne verra jamais des hommes sans relations.

S’il y a des animaux, ce que j’ignore, destinés par leur organisme à parcourir dans l’isolement absolu le cercle de leur existence, il est bien clair que la nature a dû mettre entre leurs besoins et leurs facultés une proportion exacte. On pourrait encore comprendre que leurs facultés fussent supérieures ; en ce cas, ces animaux seraient perfectibles et progressifs. L’équilibre exact en fait des être stationnaires, mais la supériorité des besoins ne se peut concevoir. Il faut que dès leur naissance, dès leur première apparition dans la vie, leurs facultés soient complètes relativement aux besoins auxquels elles doivent pourvoir, ou, du moins, que les unes et les autres se développent dans un même rapport. Sans cela ces espèces mourraient en naissant et, par conséquent, ne s’offriraient pas à l’observation.

De toutes les espèces de créatures vivantes qui nous environnent, aucune, sans contredit, n’est assujettie à autant de besoins que l’homme. Dans aucune, l’enfance n’est aussi débile, aussi longue, aussi dénuée, la maturité chargée d’une responsabilité aussi étendue, la vieillesse aussi faible et souffrante. Et, comme s’il n’avait pas assez de ses besoins, l’homme a encore des goûts dont la satisfaction exerce ses facultés autant que celle de ses besoins mêmes. À peine il sait apaiser sa faim, qu’il veut flatter son palais ; à peine se couvrir, qu’il veut se décorer ; à peine s’abriter, qu’il songe à embellir sa demeure. Son intelligence n’est pas moins inquiète que son corps nécessiteux. Il veut approfondir les secrets de la nature, dompter les animaux, enchaîner les éléments, pénétrer dans les entrailles de la terre, traverser d’immenses mers, planer au-dessus des vents, supprimer le temps et l’espace ; il veut connaître les mobiles, les ressorts, les lois de sa volonté et de son cœur, régner sur ses passions, conquérir l’immortalité, se confondre