Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les uns aux autres, les hommes ne sont propriétaires que de la valeur des choses, et qu’en se passant de main en main les produits ils stipulent uniquement sur la valeur, c’est-à-dire sur les services réciproques, se donnant, par-dessus le marché, toutes les qualités, propriétés et utilités que ces produits tiennent de la nature.

Si, jusqu’ici, l’économie politique, en méconnaissant cette considération fondamentale, a ébranlé le principe tutélaire de la propriété, présentée comme une institution artificielle, nécessaire, mais injuste ; du même coup elle a laissé dans l’ombre, complétement inaperçu, un autre phénomène admirable, la plus touchante dispensation de la Providence envers sa créature, le phénomène de la communauté progressive.

La richesse, en prenant ce mot dans son acception générale, résulte de la combinaison de deux actions, celle de la nature et celle de l’homme. La première est gratuite et commune, par destination providentielle, et ne perd jamais ce caractère. La seconde est seule pourvue de valeur, et par conséquent appropriée. Mais, par suite du développement de l’intelligence et du progrès de la civilisation, l’une prend une part de plus en plus grande, l’autre prend une part de plus en plus petite à la réalisation de toute utilité donnée ; d’où il suit que le domaine de la Gratuité et de la Communauté se dilate sans cesse, au sein de la race humaine, proportionnellement au domaine de la Valeur et de la Propriété : aperçu fécond et consolant, entièrement soustrait à l’œil de la science tant qu’elle attribue de la valeur à la coopération de la nature.

Dans toutes les religions on remercie Dieu de ses bienfaits ; le père de famille bénit le pain qu’il rompt et distribue à ses enfants : touchant usage que la raison ne justifierait pas s’il n’y avait rien de gratuit dans les libéralités de la Providence.