Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/224

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tune à quelqu’un, et même ne paraisse funeste, au point de vue général, parce qu’elle semble anéantir une source de services, de valeurs, de richesses. Fort peu d’économistes se sont entièrement préservés de cette illusion, et, si jamais la science parvient à la dissiper, sa mission pratique dans le monde sera remplie ; car je fais encore cette troisième affirmation : Notre pratique officielle s’est imprégnée de cette théorie, et chaque fois que les gouvernements croient devoir favoriser une classe, une profession, une industrie, ils n’ont pas d’autre procédé que d’élever des Obstacles, afin de donner à une certaine nature d’efforts l’occasion de se développer, afin d’élargir artificiellement le cercle des services auxquels la communauté sera forcée d’avoir recours, d’accroître ainsi la valeur, et, soi-disant, la Richesse.

Et, en effet, il est très-vrai que ce procédé est utile à la classe favorisée ; on la voit se féliciter, s’applaudir, et que fait-on ? On accorde successivement la même faveur à toutes les autres.

Assimiler d’abord l’Utilité à la Valeur, puis la Valeur à la Richesse, quoi de plus naturel ? La science n’a pas rencontré de piége dont elle se soit moins défiée. Car que lui est-il arrivé ? À chaque progrès, elle a raisonné ainsi : « L’obstacle diminue ; donc l’effort diminue ; donc la valeur diminue ; donc l’utilité diminue ; donc la richesse diminue ; donc nous sommes les plus malheureux des hommes pour nous être avisés d’inventer, d’échanger, d’avoir cinq doigts au lieu de trois, et deux bras au lieu d’un ; donc il faut engager le gouvernement, qui a la force, à mettre ordre à ces abus. »

Cette économie politique à rebours défraye un grand nombre de journaux et les séances de nos assemblées législatives. Elle a égaré l’honnête et philanthrope Sismondi ; on la trouve très-logiquement exposée dans le livre de M. de Saint-Chamans.