Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/295

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comment la pensée lui viendrait-elle de dire : Ceci est à moi ? Ce mot suppose ce corrélatif : Ceci n’est pas à moi, ou ceci est à autrui. Le Tien et le Mien ne se peuvent concevoir isolés, et il faut bien que le mot Propriété implique relation, car il n’exprime aussi énergiquement qu’une chose est propre à une personne qu’en faisant comprendre qu’elle n’est propre à aucune autre.

Le premier qui, ayant clos un terrain, dit Rousseau, s’avisa de dire : « Ceci est à moi, fut le vrai fondateur de la société civile. »

Que signifie cette clôture, si ce n’est une pensée d’exclusion et par conséquent de relation ? Si elle n’avait pour objet que de défendre le champ contre les animaux, c’était une précaution, non un signe de propriété ; une borne, au contraire, est un signe de propriété, non une précaution.

Ainsi les hommes ne sont véritablement Propriétaires que relativement les uns aux autres ; et, cela posé, de quoi sont-ils propriétaires ? de valeurs, — ainsi qu’on le discerne fort bien dans les échanges qu’ils font entre eux.

Prenons, selon notre procédé habituel, un exemple très-simple.

La nature travaille, de toute éternité peut-être, à mettre dans l’eau de la source ces qualités qui la rendent propre à étancher la soif et qui font pour nous son utilité. Ce n’est certainement pas mon œuvre, car elle a été élaborée sans ma participation et à mon insu. Sous ce rapport, je puis bien dire que l’eau est pour moi un don gratuit de Dieu. Ce qui est mon œuvre propre, c’est l’effort auquel je me suis livré pour aller chercher ma provision de la journée.

Par cet acte, de quoi suis-je devenu propriétaire ?

Relativement à moi, je suis propriétaire, si l’on peut s’exprimer ainsi, de toute l’utilité que la nature a mise dans cette eau. Je puis la faire tourner à mon avantage comme je l’entends. Ce n’est même que pour cela que j’ai pris la