Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/310

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services humains, et non les dons de Dieu, qui s’évaluent.

Il résulte de là qu’il n’y en a pas un seul parmi nous, tant que les transactions sont libres, qui cesse jamais d’être usufruitier de ces dons. Une seule condition nous est posée, c’est d’exécuter le travail nécessaire pour les mettre à notre portée, ou, si quelqu’un prend cette peine pour nous, de prendre pour lui une peine équivalente.

Si c’est là la vérité, certes la Propriété est inébranlable.

L’universel instinct de l’Humanité, plus infaillible qu’aucune élucubration individuelle, s’en tenait, sans l’analyser, à cette donnée, quand la théorie est venue scruter les fondements de la Propriété.

Malheureusement elle débuta par une confusion : elle prit l’Utilité pour la Valeur. Elle attribua une valeur propre indépendante de tout service humain, soit aux matériaux, soit aux forces de la nature. À l’instant la propriété fut aussi injustifiable qu’inintelligible.

Car Utilité est un rapport entre la chose et notre organisation. Elle n’implique nécessairement ni efforts, ni transactions, ni comparaisons ; elle se peut concevoir en elle-même et relativement à l’homme isolé. Valeur, au contraire, est un rapport d’homme à homme ; pour exister, il faut qu’elle existe en double, rien d’isolé ne se pouvant comparer. Valeur implique que celui qui la détient ne la cède que contre une valeur égale. — La théorie qui confond ces deux idées arrive donc à supposer qu’un homme, dans l’échange, donne de la prétendue valeur de création naturelle contre de la vraie valeur de création humaine, de l’utilité qui n’a exigé aucun travail contre de l’utilité qui en a exigé, en d’autres termes, qu’il peut profiter du travail d’autrui sans travailler. — La théorie appela la Propriété ainsi comprise d’abord monopole nécessaire, puis monopole tout court, ensuite illégitimité, et finalement vol.