Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/423

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trainte, Dieu même y a pourvu ; il a su le faire sortir de la liberté.

Dieu, dis-je, y a pourvu ; et il ne fait pas prévaloir sa loi dans une commune modèle, dirigée par M. Considérant, ou dans un phalanstère de six cents harmoniens, ou dans une Icarie à l’essai, sous la condition que quelques fanatiques se soumettent au pouvoir discrétionnaire d’un monomane, et que les incrédules payent pour les croyants. Non, Dieu y a pourvu d’une manière générale, universelle, par un mécanisme merveilleux dans lequel la justice, la liberté, l’utilité, la sociabilité se combinent et se concilient à un degré qui devrait décourager les entrepreneurs d’organisations sociales.

Remarquez que cette grande loi, chacun pour tous, tous pour chacun, est beaucoup plus universelle que ma démonstration ne le suppose. Les paroles sont lourdes et la plume plus lourde encore. L’écrivain est réduit à montrer successivement l’un après l’autre, avec une désespérante lenteur, des phénomènes qui ne s’imposent à l’admiration que par leur ensemble.

Ainsi je viens de parler d’inventions. On pourrait en conclure que c’est le seul cas où le progrès réalisé échappe au producteur pour aller grossir le fonds commun de l’humanité. Il n’en est pas ainsi. C’est une loi générale que tout avantage quelconque, provenant de la situation des lieux, du climat ou de quelque libéralité naturelle que ce soit, glisse rapidement entre les mains de celui qui le premier l’aperçoit et s’en empare, sans être perdu pour cela, mais pour aller alimenter l’immense réservoir où se puisent les communes satisfactions des hommes. Une seule condition est attachée à ce résultat : c’est que le travail et les transactions soient libres. Contrarier la liberté, c’est contrarier le vœu de la Providence, c’est suspendre l’effet de sa loi, c’est borner le progrès dans ses deux sens.