Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/44

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mouvoir : l’attrait pour les satisfactions, la répugnance pour les douleurs ? Il faudrait donc, comme disait Rousseau, changer la constitution morale et physique de l’homme ?

Pour déterminer tous les hommes à la fois à rejeter comme un vêtement incommode l’ordre social actuel, dans lequel l’humanité a vécu et s’est développée depuis son origine jusqu’à nos jours, à adopter une organisation d’invention humaine et à devenir les pièces dociles d’un autre mécanisme, il n’y a, ce me semble, que deux moyens : la Force, ou l’Assentiment universel.

Il faut, ou bien que l’organisateur dispose d’une force capable de vaincre toutes les résistances, de manière à ce que l’humanité ne soit entre ses mains qu’une cire molle qui se laisse pétrir et façonner à sa fantaisie ; ou obtenir, par la persuasion, un assentiment, si complet, si exclusif, si aveugle même, qu’il rende inutile l’emploi de la force.

Je défie qu’on me cite un troisième moyen de faire triompher, de faire entrer dans la pratique humaine un phalanstère ou toute autre organisation sociale artificielle.

Or, s’il n’y a que ces deux moyens et si l’on démontre que l’un est aussi impraticable que l’autre, on prouve par cela même que les organisateurs perdent leur temps et leur peine.

Quant à disposer d’une force matérielle qui leur soumette tous les rois et tous les peuples de la terre, c’est à quoi les rêveurs, tout rêveurs qu’ils sont, n’ont jamais songé. Le roi Alphonse avait bien l’orgueil de dire : « Si j’étais entré dans les conseils de Dieu, le monde planétaire serait mieux arrangé. » Mais s’il mettait sa propre sagesse au-dessus de celle du Créateur, il n’avait pas au moins la folie de vouloir lutter de puissance avec Dieu ; et l’histoire ne rapporte pas qu’il ait essayé de faire tourner les étoiles selon les lois de son invention. Descartes aussi se contenta de composer un petit monde de dés et de ficelles, sachant bien qu’il n’était pas assez fort pour remuer l’univers. Nous ne connaissons