Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/48

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faire prévaloir son idée ni par la force ni par le raisonnement, et que la supercherie est sa seule ressource, il doit éprouver une bien forte tentation. On sait que les ministres mêmes de la religion qui professe au plus haut degré l’horreur du mensonge, n’ont pas reculé devant les fraudes pieuses ; et l’on voit, par l’exemple de Rousseau, cet austère écrivain qui a inscrit en tête de tous ses ouvrages cette devise : Vitam impendere vero, que l’orgueilleuse philosophie elle-même peut se laisser séduire à l’attrait de cette maxime bien différente : La fin justifie les moyens. Qu’y aurait-il de surprenant à ce que les Organisateurs modernes songeassent aussi à honorer les dieux de leur propre sagesse, à mettre leurs décisions dans la bouche des immortels, à entraîner sans violence et à persuader sans convaincre ?

On sait qu’à l’exemple de Moïse, Fourier a fait précéder son Deutéronome d’une Genèse. Saint-Simon et ses disciples avaient été plus loin dans leurs velléités apostoliques. D’autres, plus avisés, se rattachent à la religion la plus étendue, en la modifiant selon leurs vues, sous le nom de néo-christianisme ; et il n’y a personne qui ne soit frappé du ton d’afféterie mystique que presque tous les Réformateurs modernes introduisent dans leur prédication.

Mais les efforts qui ont été essayés dans ce sens n’ont servi qu’à prouver une chose qui a, il est vrai, son importance : c’est que, de nos jours, n’est pas prophète qui veut. On a beau se proclamer Dieu, on n’est cru de personne, ni du public, ni de ses compères, ni de soi-même.

Puisque j’ai parlé de Rousseau, je me permettrai de faire ici quelques réflexions sur cet organisateur, d’autant qu’elles serviront à faire comprendre en quoi les organisations artificielles diffèrent de l’organisation naturelle. Cette digression n’est pas d’ailleurs tout à fait intempestive, puisque, depuis quelque temps, on signale le Contrat social comme l’oracle de l’avenir.