Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/51

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Ou plutôt (car nous ne sommes que la matière inerte, les matériaux de la machine), vers quel objet nous dirigera notre grand Instituteur ?

Dans les idées de Rousseau, ce ne pouvait guère être ni les lettres, ni le commerce, ni la marine. La guerre est un plus noble but, et la vertu un but plus noble encore. Cependant il y en a un très-supérieur. Ce qui doit être la fin de tout système de législation, « c’est la liberté et l’égalité ».

Mais il faut savoir ce que Rousseau entendait par la liberté. Jouir de la liberté, selon lui, ce n’est pas être libre, c’est donner son suffrage, alors même qu’on serait « entraîné sans violence, et persuadé sans être convaincu, » car alors « on obéit avec liberté et l’on porte docilement le joug de la félicité publique. »

« Chez les Grecs, dit-il, tout ce que le peuple avait à faire, il le faisait par lui-même ; il était sans cesse assemblé sur la place, il habitait un climat doux, il n’était point avide, des esclaves faisaient tous ses travaux, sa grande affaire était sa liberté. »

« Le peuple anglais, dit-il ailleurs, croit être libre ; il se trompe fort. Il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »

Le peuple doit donc faire par lui-même tout ce qui est service public, s’il veut être libre, car c’est en cela que consiste la liberté. Il doit toujours nommer, toujours être sur la place publique. Malheur à lui, s’il songe à travailler pour vivre ! Sitôt qu’un seul citoyen s’avise de soigner ses propres affaires, à l’instant (c’est une locution que Rousseau aime beaucoup) tout est perdu.

Mais, certes, la difficulté n’est pas petite. Comment faire ? Car enfin, même pour pratiquer la vertu, même pour exercer la liberté, encore faut-il vivre.

On a vu tout à l’heure sous quelle enveloppe oratoire