Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/541

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conséquent égal de tous les hommes, il est clair que la classe la plus pauvre est celle qui tire le plus de profit relatif de cette admirable disposition des lois de l’économie sociale. Comme le pauvre est aussi libéralement traité que le riche à l’égard de l’air respirable, de même il devient l’égal du riche pour toute cette partie du prix des choses que le progrès anéantit sans cesse. Il y a donc au fond de la race humaine une tendance prodigieuse vers l’égalité. Je ne parle pas ici d’une tendance d’aspiration, mais de réalisation. — Cependant l’égalité ne se réalise pas, ou elle se réalise si lentement qu’à peine, en comparant deux siècles éloignés, s’aperçoit-on de ses progrès. Ils sont même si peu sensibles, que beaucoup de bons esprits les nient, quoique certainement à tort. — Quelle est la cause qui retarde cette fusion des classes dans un niveau commun et toujours progressif ?

Je ne pense pas qu’il faille la chercher ailleurs que dans les divers degrés de cette prévoyance qui anime chaque couche sociale à l’égard de la population. — La loi de la limitation, avons-nous dit, est à la disposition des hommes en ce qu’elle a de moral et de préventif. L’homme, avons-nous dit encore, est perfectible, et, à mesure qu’il se perfectionne, il fait un usage plus intelligent de cette loi. Il est donc naturel que les classes, à mesure qu’elles sont plus éclairées, sachent se soumettre à des efforts plus efficaces, s’imposer des sacrifices mieux entendus pour maintenir leur population respective au niveau des moyens d’existence qui lui sont propres.

Si la statistique était assez avancée, elle convertirait probablement en certitude cette induction théorique en montrant que les mariages sont moins précoces dans les hautes que dans les basses régions de la société. — Or, s’il en est ainsi, il est aisé de comprendre que, dans le grand marché où toutes les classes portent leurs services respectifs, où