Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/568

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des cercles concentriques et expansifs de désirs d’un ordre de plus en plus élevé ? Est-ce que l’amour des arts, des lettres, des sciences, de la vérité morale et religieuse, est-ce que la soif des solutions, qui intéressent notre existence présente ou future, descend de la collectivité à l’individualité, c’est-à-dire de l’abstraction à la réalité, et d’un pur mot aux êtres sentants et vivants ?

Si vous partez de cette supposition déjà absurde, que l’activité morale est dans l’État et la passiveté dans la nation, ne mettez-vous pas les mœurs, les doctrines, les opinions, les richesses, tout ce qui constitue la vie individuelle, à la merci des hommes qui se succèdent au pouvoir ?

Ensuite, l’État, pour remplir la tâche immense que vous voulez lui confier, a-t-il quelques ressources qui lui soient propres ? N’est-il pas obligé de prendre tout ce dont il dispose, jusqu’à la dernière obole, aux citoyens eux-mêmes ? Si c’est aux individualités qu’il demande des moyens d’exécution, ce sont donc les individualités qui ont réalisé ces moyens. C’est donc une contradiction de prétendre que l’individualité est passive et inerte. Et pourquoi l’individualité avait-elle créé des ressources ? Pour aboutir à des satisfactions de son choix. Que fait donc l’État quand il s’empare de ces ressources ? Il ne donne pas l’être à des satisfactions, il les déplace. Il en prive celui qui les avait méritées pour en doter celui qui n’y avait aucun droit. Il systématise l’injustice, lui qui était chargé de le châtier.

Dira-t-on qu’en déplaçant les satisfactions, il les épure et les moralise ? Que des richesses que l’individualité aurait consacrées à des besoins grossiers, l’État les voue à des besoins moraux ? Mais qui osera affirmer que c’est un avantage d’intervertir violemment par la force, par voie de spoliation, l’ordre naturel selon lequel les besoins et les désirs se développent dans l’humanité ? qu’il est moral de prendre un morceau de son pain au paysan qui a faim, pour mettre