Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/616

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velle pas l’acte ; on sacrifie le bien de la première conséquence par crainte du mal plus grand que contiennent les autres. Si l’acte est devenu une habitude et si l’on n’a pas la force d’y renoncer, du moins on ne s’y livre qu’avec hésitation et répugnance, à la suite d’un combat intérieur. On ne le conseille pas, on le blâme ; on en détourne ses enfants. On est certainement dans la voie du progrès.

Si, au contraire, il s’agit d’un acte utile, mais dont on s’abstenait, — parce que la première conséquence, la seule connue, est pénible et que les conséquences ultérieures favorables étaient ignorées, — on éprouve les effets de l’abstention. Par exemple, un sauvage est repu. Il ne prévoit pas qu’il aura faim demain. Pourquoi travaillerait-il aujourd’hui ? Travailler est une peine actuelle, il n’est pas besoin de prévoyance pour le savoir. Donc il demeure dans l’inertie. Mais le jour fuit, un autre lui succède, il amène la faim, il faut travailler sous cet aiguillon. — C’est une leçon qui souvent réitérée ne peut manquer de développer la prévoyance. Peu à peu la paresse est appréciée pour ce qu’elle est. On la flétrit ; on en détourne la jeunesse. L’autorité de l’opinion publique passe du côté du travail.

Mais pour que l’expérience soit une leçon, pour qu’elle remplisse sa mission dans le monde, pour qu’elle développe la prévoyance, pour qu’elle expose la série des effets, pour qu’elle provoque les bonnes habitudes et restreigne les mauvaises, en un mot pour qu’elle soit l’instrument propre du progrès et du perfectionnement moral, il faut que la loi de Responsabilité agisse. Il faut que les mauvaises conséquences se fassent sentir, et, lâchons le grand mot, il faut que momentanément le mal sévisse.

Sans doute, il vaudrait mieux que le mal n’existât pas ; — et cela serait peut-être si l’homme était fait sur un autre plan. — Mais, l’homme étant donné avec ses besoins, ses désirs, sa sensibilité, son libre arbitre, sa faculté de choisir et