Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/643

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tendent opérer ce préliminaire indispensable, la transformation du cœur humain.

S’ils sont assez fous pour l’entreprendre, certes ils ne seront pas assez forts. En veulent-ils la preuve ? Qu’ils essayent sur eux-mêmes ; qu’ils s’efforcent d’étouffer dans leur cœur l’intérêt personnel, de telle sorte qu’il ne se montre plus dans les actes les plus ordinaires de la vie. Ils ne tarderont pas à reconnaître leur impuissance. Comment donc prétendent-ils imposer à tous les hommes sans exception une doctrine à laquelle eux-mêmes ne peuvent se soumettre ?

J’avoue qu’il m’est impossible de voir quelque chose de religieux, si ce n’est l’apparence et tout au plus l’intention, dans ces théories affectées, dans ces maximes inexécutables qu’on prêche du bout des lèvres, sans cesser d’agir comme le vulgaire. Est-ce donc la vraie religion qui inspire à ces économistes catholiques cette pensée orgueilleuse, que Dieu a mal fait son œuvre, et qu’il leur appartient de la refaire ? Bossuet ne pensait pas ainsi quand il disait : « L’homme aspire au bonheur, il ne peut pas ne pas y aspirer. »

Les déclamations contre l’intérêt personnel n’auront jamais une grande portée scientifique ; car il est de sa nature indestructible, ou du moins on ne le peut détruire dans l’homme sans détruire l’homme lui-même. Tout ce que peuvent faire la religion, la morale, l’économie politique, c’est d’éclairer cette force impulsive, de lui montrer non seulement les premières, mais encore les dernières conséquences des actes qu’elle détermine en nous. Une satisfaction supérieure et progressive derrière une douleur passagère, une souffrance longue et sans cesse aggravée après un plaisir d’un moment, voilà en définitive le bien et le mal moral. Ce qui détermine le choix de l’homme vers la vertu, ce sera l’intérêt élevé, éclairé, mais ce sera toujours au fond l’intérêt personnel.