Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 7.djvu/353

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volues. Pour la plupart d’entre nous, ces devoirs absorbent toute notre activité ; et il est impossible que nous puissions avoir toujours à la pensée et pour but immédiat l’intérêt général de l’humanité. La question est de savoir si la force des choses, telle qu’elle résulte de l’organisation de l’homme et de sa perfectibilité, ne fait pas que l’intérêt de chacun se confond de plus en plus avec l’intérêt de tous, si nous ne sommes pas graduellement amenés par l’observation, et au besoin par l’expérience, à désirer le bien général, et, par conséquent, à y contribuer ; auquel cas, le principe de la fraternité naîtrait du sentiment même de la personnalité avec lequel il semble, au premier coup d’œil, en opposition.

Ici j’ai besoin de revenir sur une idée fondamentale, que j’ai déjà exposée dans ce recueil, aux articles intitulés : concurrence, population.

À l’exception des relations de parenté et des actes de pure bienveillance et d’abnégation, je crois qu’on peut dire que toute l’économie de la société repose sur un échange volontaire de services.

Mais, pour prévenir toute fausse interprétation, je dois dire un mot de l’abnégation, qui est le sacrifice volontaire du sentiment de la personnalité.

On accuse les économistes de ne pas tenir compte de l’abnégation, peut-être de la dédaigner. À Dieu ne plaise que nous voulions méconnaître ce qu’il y a de puissance et de grandeur dans l’abnégation. Rien de grand, rien de généreux, rien de ce qui excite la sympathie et l’admiration des hommes ne s’est accompli que par le dévouement. L’homme n’est pas seulement une intelligence, il n’est pas seulement calculateur. Il a une âme, dans cette âme il y a un germe sympathique, et ce germe peut être développé jusqu’à l’amour universel, jusqu’au sacrifice le plus absolu, jusqu’à produire ces actions généreuses dont le simple récit appelle les larmes à nos paupières.