Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/336

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taient célèbres par les bureaux, le harcelait d’allusions, de mots grivois, se faisant fort, disait-il, de le faire hériter en vingt minutes.

Léopold Bonnin, un jour, se fâcha, et, se levant brusquement avec sa plume derrière l’oreille, lui jeta cette injure : « Monsieur, vous êtes un infâme ; si je ne me respectais pas, je vous cracherais au visage. »

Des témoins furent envoyés, ce qui mit tous les ministères en émoi pendant trois jours. On ne rencontrait qu’eux dans les couloirs, se communiquant des procès-verbaux, et des points de vue sur l’affaire. Une rédaction fut enfin adoptée à l’unanimité par les quatre délégués et acceptée par les deux intéressés qui échangèrent gravement un salut et une poignée de main devant le chef de bureau, en balbutiant quelques paroles d’excuses.

Pendant le mois qui suivit, ils se saluèrent avec une cérémonie voulue et un empressement bien élevé, comme des adversaires qui se sont trouvés face à face. Puis un jour, s’étant heurtés au tournant d’un couloir, M. Bonnin demanda avec un empressement digne : « Je ne vous ai point fait mal, Monsieur ? » L’autre répondit : « Nullement, Monsieur. »

Depuis ce moment, ils crurent convenable d’échanger quelques paroles en se rencontrant. Puis, ils devinrent peu à peu plus familiers ; ils prirent l’habitude l’un et l’autre, se comprirent, s’estimèrent en gens qui s’étaient méconnus, et devinrent inséparables.