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L’AMI PATIENCE.

min contournait un gazon où s’égrenait dans l’air un jet d’eau, entrait sous des massifs, en ressortait plus loin. Et tout à coup, là-bas, tout au fond, entre deux taillis d’arbustes, trois femmes apparurent. Elles marchaient lentement, se tenant par le bras, vêtues de longs peignoirs blancs ennuagés de dentelles. Deux étaient blondes, et l’autre brune. Elles rentrèrent aussitôt sous les arbres. Je demeurai saisi, ravi, devant cette courte et charmante apparition qui fit surgir en moi tout un monde poétique. Elles s’étaient montrées à peine, dans le jour qu’il fallait, dans ce cadre de feuilles, dans ce fond de parc secret et délicieux. J’avais revu, d’un seul coup, les belles dames de l’autre siècle errant sous les charmilles, ces belles dames dont les gravures galantes des murs rappelaient les légères amours. Et je pensais au temps heureux, fleuri, spirituel et tendre où les mœurs étaient si douces et les lèvres si faciles…

Une grosse voix me fit bondir sur place. Patience était entré, et, radieux, me tendit les mains.

Il me regarda au fond des yeux de l’air sournois qu’on prend pour les confidences amoureuses, et, d’un geste large et circulaire, d’un geste de Napoléon, il me montra son salon somptueux, son parc, les trois