Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/126

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accorda pas autant d’attention qu’elle croyait en mériter. La famille fut assez surprise du silence dans lequel elle s’était renfermée. Émilie déployait ordinairement pour les nouveaux venus sa coquetterie, son babil spirituel, et l’inépuisable éloquence de ses regards et de ses attitudes. Soit que la voix mélodieuse du jeune homme et l’attrait de ses manières l’eussent charmée, qu’elle aimât sérieusement, et que ce sentiment eût opéré en elle un changement, son maintien perdit toute affectation. Devenue simple et naturelle, elle dut sans doute paraître plus belle. Quelques-unes de ses sœurs et une vieille dame, amie de la famille, virent un raffinement de coquetterie dans cette conduite. Elles supposèrent que, jugeant le jeune homme digne d’elle, Émilie se proposait peut-être de ne montrer que lentement ses avantages, afin de l’éblouir tout à coup, au moment où elle lui aurait plu. Toutes les personnes de la famille étaient curieuses de savoir ce que cette capricieuse fille pensait de cet étranger ; mais lorsque, pendant le dîner, chacun prit plaisir à doter monsieur Longueville d’une qualité nouvelle, en prétendant l’avoir seul découverte, mademoiselle de Fontaine resta muette pendant quelque temps. Un léger sarcasme de son oncle la réveilla tout à coup de son apathie ; elle dit d’une manière assez épigrammatique que cette perfection céleste devait couvrir quelque grand défaut, et qu’elle se garderait bien de juger à la première vue un homme qui paraissait être si habile. Elle ajouta que ceux qui plaisaient ainsi à tout le monde ne plaisaient à personne, et que le pire de tous les défauts était de n’en avoir aucun. Comme toutes les jeunes filles qui aiment, elle caressait l’espérance de pouvoir cacher son sentiment au fond de son cœur en donnant le change aux Argus qui l’entouraient ; mais, au bout d’une quinzaine de jours, il n’y eut pas un des membres de cette nombreuse famille qui ne fût initié dans ce petit secret domestique. À la troisième visite que fit monsieur Longueville, Émilie crut y être pour beaucoup. Cette découverte lui causa un plaisir si enivrant, qu’elle l’étonna quand elle put réfléchir. Il y avait là quelque chose de pénible pour son orgueil. Habituée à se faire le centre du monde, elle était obligée de reconnaître une force qui l’attirait hors d’elle-même. Elle essaya de se révolter, mais elle ne put chasser de son cœur la séduisante image du jeune homme. Puis vinrent bientôt des inquiétudes. En effet, deux qualités de monsieur Longueville très-contraires à la curiosité générale, et surtout à celle