Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/153

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cacheter. Des estampes représentant les batailles d’Alexandre par Lebrun, mais à cadres dédorés, garnissaient symétriquement les murs. Au milieu de cette pièce était une table d’acajou massif, vieille de formes et à bords usés. Un petit poêle, dont le tuyau droit et sans coude s’apercevait à peine, se trouvait devant la cheminée, dont l’âtre contenait une armoire. Par un contraste bizarre, les chaises offraient quelques vestiges d’une splendeur passée, elles étaient en acajou sculpté ; mais le maroquin rouge du siége, les clous dorés et les cannetilles montraient des cicatrices aussi nombreuses que celles des vieux sergents de la garde impériale. Cette pièce servait de musée à certaines choses qui ne se rencontrent que dans ces sortes de ménages amphibies, objets innommés participant à la fois du luxe et de la misère. Entre autres curiosités, Hippolyte vit une longue-vue magnifiquement ornée, suspendue au-dessus de la petite glace verdâtre qui décorait la cheminée. Pour appareiller cet étrange mobilier, il y avait entre la cheminée et la cloison un mauvais buffet peint en acajou, celui de tous les bois qu’on réussit le moins à simuler. Mais le carreau rouge et glissant, mais les méchants petits tapis placés devant les chaises, mais les meubles, tout reluisait de cette propreté frotteuse qui prête un faux lustre aux vieilleries en accusant encore mieux leurs défectuosités, leur âge et leurs longs services. Il régnait dans cette pièce une senteur indéfinissable résultant des exhalaisons du capharnaüm mêlées aux vapeurs de la salle à manger et à celles de l’escalier, quoique la fenêtre fût entr’ouverte et que l’air de la rue agitât les rideaux de percale soigneusement étendus, de manière à cacher l’embrasure où les précédents locataires avaient signé leur présence par diverses incrustations, espèces de fresques domestiques. Adélaïde ouvrit promptement la porte de l’autre chambre, où elle introduisit le peintre avec un certain plaisir. Hippolyte, qui jadis avait vu chez sa mère les mêmes signes d’indigence, les remarqua avec la singulière vivacité d’impression qui caractérise les premières acquisitions de notre mémoire, et entra mieux que tout autre ne l’aurait fait dans les détails de cette existence. En reconnaissant les choses de sa vie d’enfance, ce bon jeune homme n’eut ni mépris de ce malheur caché, ni orgueil du luxe qu’il venait de conquérir pour sa mère.

— Eh bien, monsieur ! j’espère que vous ne vous sentez plus de votre chute ? lui dit la vieille mère en se levant d’une antique