Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/166

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comptées comme des campagnes navales. À l’aspect du portrait, il serra cordialement la main du peintre, et s’écria : — Ma foi ! quoique ma vieille carcasse ne vaille pas la peine d’être conservée, je donnerais bien cinq cents pistoles pour me voir aussi ressemblant que l’est mon vieux Rouville.

À cette proposition, la baronne regarda son ami, et sourit en laissant éclater sur son visage les marques d’une soudaine reconnaissance. Hippolyte crut deviner que le vieil amiral voulait lui offrir le prix des deux portraits en payant le sien. Sa fierté d’artiste, tout autant que sa jalousie peut-être, s’offensa de cette pensée, et il répondit : — Monsieur, si je peignais le portrait, je n’aurais pas fait celui-ci.

L’amiral se mordit les lèvres et se mit à jouer. Le peintre resta près d’Adélaïde qui lui proposa de faire une partie, il accepta. Tout en jouant, il observa chez madame de Rouville une ardeur pour le jeu qui le surprit. Jamais cette vieille baronne n’avait encore manifesté un désir si ardent pour le gain, ni un plaisir si vif en palpant les pièces d’or du gentilhomme. Pendant la soirée, de mauvais soupçons vinrent troubler le bonheur d’Hippolyte, et lui donnèrent de la défiance. Madame de Rouville vivrait-elle donc du jeu ? Ne jouait-elle pas en ce moment pour acquitter quelque dette, ou poussée par quelque nécessité ? Peut-être n’avait-elle pas payé son loyer. Ce vieillard paraissait être assez fin pour ne pas se laisser impunément prendre son argent. Quel pouvait donc être l’intérêt qui l’attirait dans cette maison pauvre, lui riche ? Pourquoi jadis était-il si familier près d’Adélaïde, et pourquoi soudain avait-il renoncé à des privautés acquises et dues peut-être ? Ces réflexions lui vinrent involontairement, et l’excitèrent à examiner avec une nouvelle attention le vieillard et la baronne. Il fut mécontent de leurs airs d’intelligence et des regards obliques qu’ils jetaient sur Adélaïde et sur lui. « Me tromperait-on ? » fut pour Hippolyte une dernière idée, horrible, flétrissante, et à laquelle il crut précisément assez pour en être torturé. Il voulut rester après le départ des deux vieillards pour confirmer ses soupçons ou pour les dissiper. Il avait tiré sa bourse afin de payer Adélaïde ; mais emporté par ses pensées poignantes, il mit sa bourse sur la table, tomba dans une rêverie qui dura peu ; puis, honteux de son silence, il se leva, répondit à une interrogation banale que lui faisait madame de Rouville, et vint près d’elle pour, tout en causant, mieux scruter