Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/17

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choses était la fumée de tabac ; on nous dispensera de dire les deux autres. Balzac, comme le Jupiter de l’Olympe poétique allemand, ne pouvait souffrir le tabac sous quelque forme que ce fût ; il ne fuma jamais. Toutes les fois que Balzac est obligé, pour la vraisemblance du récit, de laisser un de ses personnages s’adonner à cette habitude horrible du tabac, sa phrase brève et dédaigneuse trahit un secret blâme : « Quant à de Marsay, dit-il, il était occupé à fumer ses cigares. » Et il faut qu’il aime bien ce condottiere du dandysme pour lui permettre de fumer dans son œuvre.

Une femme délicate et petite-maîtresse avait sans doute imposé cette aversion à Balzac. C’est un point que nous ne saurions résoudre. Toujours est-il qu’il ne fit pas gagner un sou à la régie. À propos de femmes, Balzac, qui les a si bien peintes, devait les connaître, et l’on sait le sens que la Bible attache à ce mot. Dans une des lettres qu’il écrit à madame de Surville, sa sœur, Balzac, tout jeune et complètement ignoré, pose l’idéal de sa vie en deux mots : « être célèbre et être aimé. » La première partie de ce programme, que se tracent du reste tous les artistes, a été réalisée de point en point. La seconde a-t-elle reçu son accomplissement ? L’opinion des plus intimes amis de Balzac est qu’il pratiqua la chasteté qu’il recommandait aux autres, et n’eut que des amours platoniques ; mais madame de Surville sourit à cette idée, avec un sourire d’une finesse féminine et tout plein de pudiques réticences. Elle prétend que son frère était d’une discrétion à toute épreuve, et que s’il eût voulu parler, il eût eu beaucoup de choses à dire. Cela doit être, et sans doute la cassette de Balzac contenait plus de petites lettres à l’écriture fine et penchée que la boîte en laque de Canalis. Il y a dans son œuvre comme une odeur de femme : odor di femina quand on y entre, on entend, derrière les portes qui se referment, sur les marches de l’escalier dérobé, des frou-frou de soie et des craquements de bottines. Le salon semi-circulaire et matelassé de la rue des Batailles, dont la description est placée par l’auteur dans la Fille aux yeux d’or, ne resta donc pas complètement virginal, comme plusieurs de nous le supposèrent. Dans le cours de notre intimité, qui dura de 1836 jusqu’à sa mort, une seule fois Balzac fit allusion, avec les