Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/196

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cœur, et que surtout la bienfaitrice est belle, il est difficile à un jeune homme de résister. Le colonel aspira l’amour par tous les sens. Une légère teinte rose nuança ses joues blanches, ses yeux perdirent un peu de la mélancolie qui les ternissait, et il dit d’un son de voix particulier : — Vous êtes un ange de bonté ! Mais Labédoyère, ajouta-t-il, Labédoyère !

À ce cri, ils se regardèrent tous les trois en silence, et ils se comprirent. Ce n’était plus des amis de vingt minutes, mais de vingt ans.

— Mon cher, reprit Servin, pouvez-vous le sauver !

— Je puis le venger.

Ginevra tressaillit : quoique l’inconnu fût beau, son aspect n’avait point ému la jeune fille ; la douce pitié que les femmes trouvent dans leur cœur pour les misères qui n’ont rien d’ignoble avait étouffé chez Ginevra toute autre affection : mais entendre un cri de vengeance, rencontrer dans ce proscrit une âme italienne, du dévouement pour Napoléon, de la générosité à la corse ?… c’en était trop pour elle ; elle contempla donc l’officier avec une émotion respectueuse qui lui agita fortement le cœur. Pour la première fois, un homme lui faisait éprouver un sentiment si vif. Comme toutes les femmes, elle se plut à mettre l’âme de l’inconnu en harmonie avec la beauté distinguée de ses traits, avec les heureuses proportions de sa taille qu’elle admirait en artiste. Menée par le hasard de la curiosité à la pitié, de la pitié à un intérêt puissant, elle arrivait de cet intérêt à des sensations si profondes, qu’elle crut dangereux de rester là plus longtemps.

— À demain, dit-elle en laissant à l’officier le plus doux de ses sourires pour consolation.

En voyant ce sourire, qui jetait comme un nouveau jour sur la figure de Ginevra, l’inconnu oublia tout pendant un instant.

— Demain, répondit-il avec tristesse, demain, Labédoyère…

Ginevra se retourna, mit un doigt sur ses lèvres, et le regarda comme si elle lui disait : — Calmez-vous, soyez prudent.

Alors le jeune homme s’écria : — O Dio ! che non vorrei vivere dopo averla veduta ! (Ô Dieu, qui ne voudrait vivre après l’avoir vue !)

L’accent particulier avec lequel il prononça cette phrase fit tressaillir Ginevra.