Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/203

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Cette plaisanterie d’artiste mit fin à leur attendrissement. Ils se regardèrent tous trois en riant. L’Italienne serra la main de Louis par une violente étreinte et avec une simplicité d’action digne des mœurs de sa patrie.

— Ah çà, mes chers enfants, reprit Servin, vous croyez que tout ça va maintenant à merveille ? Eh bien, vous vous trompez.

Les deux amants l’examinèrent avec étonnement.

— Rassurez-vous, je suis le seul que votre espiéglerie embarrasse ! Madame Servin est un peu collet-monté, et je ne sais en vérité pas comment nous nous arrangerons avec elle.

— Dieu ! j’oubliais ! s’écria Ginevra. Demain, madame Roguin et la mère de Laure doivent venir vous…

— J’entends ! dit le peintre en interrompant.

— Mais vous pouvez vous justifier, reprit la jeune fille en laissant échapper un geste de tête plein d’orgueil. Monsieur Louis, dit-elle en se tournant vers lui et le regardant avec finesse, ne doit plus avoir d’antipathie pour le gouvernement royal ? — Eh bien, reprit-elle après l’avoir vu souriant, demain matin j’enverrai une pétition à l’un des personnages les plus influents du ministère de la guerre, à un homme qui ne peut rien refuser à la fille du baron de Piombo. Nous obtiendrons un pardon tacite pour le commandant Louis, car ils ne voudront pas vous reconnaître le grade de colonel. Et vous pourrez, ajouta-t-elle en s’adressant à Servin, confondre les mères de mes charitables compagnes en leur disant la vérité.

— Vous êtes un ange ! s’écria Servin.

Pendant que cette scène se passait à l’atelier, le père et la mère de Ginevra s’impatientaient de ne pas la voir revenir.

— Il est six heures, et Ginevra n’est pas encore de retour, s’écria Bartholoméo.

— Elle n’est jamais rentrée si tard, répondit la femme de Piombo.

Les deux vieillards se regardèrent avec toutes les marques d’une anxiété peu ordinaire. Trop agité pour rester en place, Bartholoméo se leva et fit deux fois le tour de son salon assez lestement pour un homme de soixante-dix-sept ans. Grâce à sa constitution robuste, il avait subi peu de changements depuis le jour de son arrivée à Paris, et malgré sa haute taille, il se tenait encore droit. Ses cheveux devenus blancs et rares laissaient à découvert un crâne large et protubérant qui donnait une haute idée de son caractère et de sa