Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/228

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— C’est vrai ! tout l’arriéré de ma solde est là, répondit Luigi. Je l’ai vendu à un brave homme nommé Gigonnet.

— Pourquoi ? reprit-elle d’un ton de reproche où perçait une satisfaction secrète. Crois-tu que je serais moins heureuse sous un toit ? Mais, reprit-elle, tout cela est bien joli, et c’est à nous. Luigi la contemplait avec tant d’enthousiasme qu’elle baissa les yeux et lui dit : — Allons voir le reste.

Au-dessus de ces trois chambres, sous les toits, il y avait un cabinet pour Luigi, une cuisine et une chambre de domestique. Ginevra fut satisfaite de son petit domaine, quoique la vue s’y trouvât bornée par le large mur d’une maison voisine, et que la cour d’où venait le jour fût sombre. Mais les deux amants avaient le cœur si joyeux, mais l’espérance leur embellissait si bien l’avenir, qu’ils ne voulurent apercevoir que de charmantes images dans leur mystérieux asile. Ils étaient au fond de cette vaste maison et perdus dans l’immensité de Paris comme deux perles dans leur nacre, au sein des profondes mers : pour tout autre c’eût été une prison, pour eux ce fut un paradis. Les premiers jours de leur union appartinrent à l’amour. Il leur fut trop difficile de se vouer tout à coup au travail, et ils ne surent pas résister au charme de leur propre passion. Luigi restait des heures entières couché aux pieds de sa femme, admirant la couleur de ses cheveux, la coupe de son front, le ravissant encadrement de ses yeux, la pureté, la blancheur des deux arcs sous lesquels ils glissaient lentement en exprimant le bonheur d’un amour satisfait. Ginevra caressait la chevelure de son Luigi sans se lasser de contempler, suivant une de ses expressions, la beltà folgorante de ce jeune homme, la finesse de ses traits ; toujours séduite par la noblesse de ses manières, comme elle le séduisait toujours par la grâce des siennes. Ils jouaient comme des enfants avec des riens, ces riens les ramenaient toujours à leur passion, et ils ne cessaient leurs jeux que pour tomber dans la rêverie du far niente. Un air chanté par Ginevra leur reproduisait encore les nuances délicieuses de leur amour. Puis, unissant leurs pas comme ils avaient uni leurs âmes, ils parcouraient les campagnes en y retrouvant leur amour partout, dans les fleurs, sur les cieux, au sein des teintes ardentes du soleil couchant ; ils le lisaient jusque sur les nuées capricieuses qui se combattaient dans les airs. Une journée ne ressemblait jamais à la précédente, leur amour allait croissant parce qu’il était vrai. Ils s’étaient éprouvés en peu de jours, et