Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/278

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vait devoir venir. Quel mépris, quelle insouciance se peignaient sur son beau visage pour toutes les créatures qui s’agitaient comme des fourmis sous ses pieds ! ses yeux gris, pétillants de malice, étincelaient. Elle était là pour elle-même, sans se douter que tous les jeunes gens emportaient mille confus désirs à l’aspect de ses formes attrayantes. Elle évitait leurs hommages avec autant de soin que les plus fières en mettent à les recueillir pendant leurs promenades à Paris, et ne s’inquiétait certes guère si le souvenir de sa blanche figure penchée ou de son petit pied qui dépassait le balcon, si la piquante image de ses yeux animés et de son nez voluptueusement retroussé, s’effaceraient ou non le lendemain du cœur des passants qui l’avaient admirée : elle ne voyait qu’une figure et n’avait qu’une idée. Quand la tête mouchetée d’un certain cheval bai-brun vint à dépasser la haute ligne tracée dans l’espace par les maisons, Caroline tressaillit et se haussa sur la pointe des pieds pour tâcher de reconnaître les guides blanches et la couleur du tilbury. C’était lui ! Roger tourne l’angle de la rue, voit le balcon, fouette son cheval qui s’élance et arrive à cette porte bronzée à laquelle il est aussi habitué que son maître. La porte de l’appartement fut ouverte d’avance par la femme de chambre, qui avait entendu le cri de joie jeté par sa maîtresse ; Roger se précipita vers le salon, pressa Caroline dans ses bras, et l’embrassa avec cette effusion de sentiment que provoquent toujours les réunions peu fréquentes de deux êtres qui s’aiment ; il l’entraîna, ou plutôt ils marchèrent par une volonté unanime, quoique enlacés dans les bras l’un de l’autre, vers cette chambre discrète et embaumée ; une causeuse les reçut devant le foyer, et ils se contemplèrent un moment en silence, en n’exprimant leur bonheur que par les vives étreintes de leurs mains, en se communiquant leurs pensées par un long regard.

— Oui, c’est lui, dit-elle enfin ; oui, c’est toi. Sais-tu que voici trois grands jours que je ne t’ai vu, un siècle ! Mais qu’as-tu ? tu as du chagrin.

— Ma pauvre Caroline…

— Oh ! voilà, ma pauvre Caroline…

— Non, ne ris pas, mon ange ; nous ne pouvons pas aller ce soir à Feydeau.

Caroline fit une petite mine boudeuse, mais qui se dissipa tout à coup.

— Je suis une sotte ! Comment puis-je penser au spectacle quand