Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Louis XV n’aurait-il pas donné tout son royaume pour pouvoir se relever de son cercueil et avoir trois jours de jeunesse et de vie ? N’est-ce pas là l’histoire d’un milliard de morts, d’un milliard de malades, d’un milliard de vieillards ?

— Pauvre Caroline, s’écria le médecin.

En entendant ce nom, le comte de Granville tressaillit, et saisit le bras du médecin qui crut se sentir serré par les deux lèvres en fer d’un étau.

— Elle se nomme Caroline Crochard, demanda le président d’un son voix visiblement altérée.

— Vous la connaissez donc ? répondit le docteur avec étonnement.

— Et le misérable se nomme Solvet… Ah ! vous m’avez tenu parole, s’écria l’ancien magistrat, vous avez agité mon cœur par la plus terrible sensation qu’il éprouvera jusqu’à ce qu’il devienne poussière. Cette émotion est encore un présent de l’enfer, et je sais toujours comment m’acquitter avec lui.

En ce moment, le comte et le médecin étaient arrivés au coin de la rue de la Chaussée-d’Antin. Un de ces enfants de la nuit, qui, le dos chargé d’une hotte en osier et marchant un crochet à la main, ont été plaisamment nommés, pendant la révolution, membres du comité des recherches, se trouvait auprès de la borne devant laquelle le président venait de s’arrêter. Ce chiffonnier avait une vieille figure digne de celles que Charlet a immortalisées dans ses caricatures de l’école du balayeur.

— Rencontres-tu souvent des billets de mille francs, lui demanda le comte.

— Quelquefois, notre bourgeois.

— Et les rends-tu ?

— C’est selon la récompense promise…

— Voilà mon homme, s’écria le comte en présentant au chiffonnier un billet de mille francs. Prends ceci, lui dit-il, mais songe que je te le donne à la condition de le dépenser au cabaret, de t’y enivrer, de t’y disputer, de battre ta femme, de crever les yeux à tes amis. Cela fera marcher la garde, les chirurgiens, les pharmaciens ; peut-être les gendarmes, les procureurs du roi, les juges et les geôliers. Ne change rien à ce programme, ou le diable saurait tôt ou tard se venger de toi.

Il faudrait qu’un même homme possédât à la fois les crayons de