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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/362

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mate autorisèrent les médisances des Parisiens qui d’ailleurs ressembleraient parfaitement aux Polonais en semblable occurrence. L’aristocratie française, si admirablement secourue par l’aristocratie polonaise pendant la révolution, n’a certes pas rendu la pareille à l’émigration forcée de 1832. Ayons le triste courage de le dire, le faubourg Saint-Germain est encore débiteur de la Pologne.

Le comte Adam était-il riche, était-il pauvre, était-ce un aventurier ? Ce problème resta pendant long-temps indécis. Les salons de la diplomatie, fidèles à leurs instructions, imitèrent le silence de l’empereur Nicolas, qui considérait alors comme mort tout émigré polonais. Les Tuileries et la plupart de ceux qui y prennent leur mot d’ordre donnèrent une horrible preuve de cette qualité politique décorée du titre de sagesse. On y méconnut un prince russe avec qui l’on fumait des cigares pendant l’émigration, parce qu’il paraissait avoir encouru la disgrâce de l’empereur Nicolas. Placés entre la prudence de la cour et celle de la diplomatie, les Polonais de distinction vivaient dans la solitude biblique de Super flumina Babylonis, ou hantaient certains salons qui servent de terrain neutre à toutes les opinions. Dans une ville de plaisir comme Paris, où les distractions abondent à tous les étages, l’étourderie polonaise trouva deux fois plus de motifs qu’il ne lui en fallait pour mener la vie dissipée des garçons. Enfin, disons-le, Adam eut d’abord contre lui sa tournure et ses manières. Il y a deux Polonais comme il y a deux Anglaises. Quand une Anglaise n’est pas très-belle, elle est horriblement laide, et le comte Adam appartient à la seconde catégorie. Sa petite figure, assez aigre de ton, semble avoir été pressée dans un étau. Son nez court, ses cheveux blonds, ses moustaches et sa barbe rousses lui donnent d’autant plus l’air d’une chèvre qu’il est petit, maigre, et que ses yeux d’un jaune sale vous saisissent par ce regard oblique si célèbre par le vers de Virgile. Comment, malgré tant de conditions défavorables, possède-t-il des manières et un ton exquis ? La solution de ce problème s’explique et par une tenue de dandy et par l’éducation due à sa mère, une Radzivill. Si son courage va jusqu’à la témérité, son esprit ne dépasse point les plaisanteries courantes et éphémères de la conversation parisienne ; mais il ne rencontre pas souvent parmi les jeunes gens à la mode un garçon qui lui soit supérieur. Les gens du monde causent aujourd’hui beaucoup