Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/372

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bien des chances d’oublier ou d’être hors d’état de payer la pension de Paz. Enfin, mon ange, je voulus lui épargner la peine, la pudeur, la honte de me demander de l’argent ou de chercher vainement son compagnon dans un jour de détresse. Dunquè, un matin, après déjeuner, les pieds sur les chenets, fumant chacun notre pipe, après avoir bien rougi, pris bien des précautions, le voyant me regarder avec inquiétude, je lui tendis une inscription de rentes au porteur de deux mille quatre cents francs.

Clémentine quitta sa place, alla s’asseoir sur les genoux d’Adam, lui passa son bras autour du cou, le baisa au front en lui disant : — Cher trésor, combien je te trouve beau ! — Et qu’a fait Paz ?

— Thaddée, reprit le comte, a pâli sans rien dire…

— Ah ! il se nomme Thaddée ?

— Oui, Thaddée a replié le papier, me l’a rendu en me disant : — J’ai cru, Adam, que c’était entre nous à la vie, à la mort, et que nous ne nous quitterions jamais, tu ne veux donc pas de moi ?

— Ah ! fis-je, tu l’entends ainsi, Thaddée, eh ! bien, n’en parlons plus. Si je me ruine, tu seras ruiné. — Tu n’as pas, me dit-il, assez de fortune pour vivre en Laginski, ne te faut-il pas alors un ami qui s’occupe de tes affaires, qui soit un père et un frère, un confident sûr ? Ma chère enfant, en me disant ces paroles, Paz a eu dans le regard et dans la voix un calme qui couvrait une émotion maternelle, mais qui révélait une reconnaissance d’Arabe, un dévouement de caniche, une amitié de sauvage, sans faste et toujours prête. Ma foi, je l’ai pris comme nous nous prenons, nous autres Polonais, la main sur l’épaule, et je l’embrassai sur les lèvres. — À la vie et à la mort, donc ! Tout ce que j’ai t’appartient, et fais comme tu voudras ! C’est lui qui m’a trouvé cet hôtel pour presque rien. Il a vendu mes rentes en hausse, les a rachetées en baisse, et nous avons payé cette baraque avec les bénéfices. Connaisseur en chevaux, il en trafique si bien que mon écurie coûte fort peu de chose, et j’ai les plus beaux chevaux, les plus charmants équipages de Paris. Nos gens, braves soldats polonais choisis par lui, passeraient dans le feu pour nous. J’ai eu l’air de me ruiner, et Paz tient ma maison avec un ordre et une économie si parfaites qu’il a réparé par là quelques pertes inconsidérées au jeu, des sottises de jeune homme. Mon Thaddée est rusé comme deux Génois, ardent au gain comme un juif polonais, prévoyant comme une bonne ménagère. Jamais je n’ai pu le décider à vivre comme moi quand