Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lendemain de la terrible scène sous le pavillon chinois, le marquis de Ronquerolles était venu voir son neveu ; car il partait pour la Russie chargé d’une mission secrète, et Paz, foudroyé de la veille, avait dit quelques mots au diplomate. Or, le jour où le comte Adam et sa femme sortirent pour la première fois en calèche, au moment où la calèche allait quitter le perron, un gendarme entra dans la cour de l’hôtel et demanda le comte Paz. Thaddée, assis sur le devant de la calèche, se retourna pour prendre une lettre qui portait le timbre du ministère des affaires étrangères et la mit dans la poche de côté de son habit par un mouvement qui empêcha Clémentine et Adam de lui en parler. On ne peut nier aux gens de bonne compagnie la science du langage qui ne se parle pas. Néanmoins, en arrivant à la porte Maillot, Adam, usant des privilèges d’un convalescent dont les caprices doivent être satisfaits, dit à Thaddée : — Il n’y a point d’indiscrétion entre deux frères qui s’aiment autant que nous nous aimons, tu sais ce que contient la dépêche, dis-le-moi, j’ai une fièvre de curiosité.

Clémentine regarda Thaddée en femme fâchée et dit à son mari : Il me boude tant depuis deux mois que je me garderais bien d’insister.

— Oh ! mon Dieu, répondit Thaddée, comme je ne puis pas empêcher les journaux de le publier, je vous révélerai bien ce secret : l’empereur Nicolas me fait la grâce de me nommer capitaine dans un régiment destiné à l’expédition de Khiva.

— Et tu y vas ? s’écria Adam.

— J’irai, mon cher. Je suis venu capitaine, capitaine je m’en retourne… Malaga pourrait me faire faire des sottises. Nous dînons demain pour la dernière fois ensemble. Si je ne partais pas en septembre pour Saint-Pétersbourg, il faudrait y aller par terre, et je ne suis pas riche, je dois laisser à Malaga sa petite indépendance. Comment ne pas veiller à l’avenir de la seule femme qui m’ait su comprendre ? elle me trouve grand, Malaga ! Malaga me trouve beau ! Malaga m’est peut-être infidèle, mais elle passerait dans le…

— Dans le cerceau pour vous et retomberait très-bien sur son cheval, dit vivement Clémentine.

— Oh ! vous ne connaissez pas Malaga, dit le capitaine avec une profonde amertume et un regard plein d’ironie qui rendirent Clémentine rêveuse et inquiète.

— Adieu les jeunes arbres de ce beau bois de Boulogne où se