Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/404

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Adieu, madame ; je perds tout en quittant Paris, et vous ne perdez rien en n’ayant plus auprès de vous

 » Votre dévoué
 » Thaddée Paç. »


— Si mon pauvre Adam dit avoir perdu un ami, qu’ai-je donc perdu, moi ? se dit Clémentine en restant abattue et les yeux attachés sur une fleur de son tapis.

Voici la lettre que Constantin remit en secret au comte.


« Mon cher Mitgislas, Malaga m’a tout dit. Au nom de ton bonheur, qu’il ne t’échappe jamais avec Clémentine un mot sur tes visites chez l’écuyère, et laisse-lui toujours croire que Malaga me coûte cent mille francs. Du caractère dont est la comtesse, elle ne te pardonnerait ni tes pertes au jeu ni tes visites à Malaga. Je ne vais pas à Khiva, mais au Caucase. J’ai le spleen, et du train dont j’irai, je serai prince Paz en trois ans ou mort. Adieu ; quoique j’aie repris soixante mille francs chez Rothschild, nous sommes quittes.

Thaddée. »


— Imbécile que je suis ! j’ai failli me couper tout-à-l’heure, se dit Adam.

Voici trois ans que Thaddée est parti, les journaux ne parlent encore d’aucun prince Paz. La comtesse Laginska s’intéresse énormément aux expéditions de l’empereur Nicolas, elle est Russe de cœur, elle lit avec une espèce d’avidité toutes les nouvelles qui viennent de ce pays. Une ou deux fois par hiver, elle dit d’un air indifférent à l’ambassadeur : « Savez-vous ce qu’est devenu notre pauvre comte Paz ? »

Hélas ! la plupart des Parisiennes, ces créatures prétendues si perspicaces et si spirituelles, passent et passeront toujours à côté d’un Paz sans l’apercevoir. Oui, plus d’un Paz est méconnu ; mais, chose effrayante à penser ! il en est de méconnus même lorsqu’ils sont aimés. La femme la plus simple du monde exige encore chez l’homme le plus grand un peu de charlatanisme ; et le plus bel amour ne signifie rien quand il est brut : il lui faut la mise en scène de la taille et de l’orfévrerie.

Au mois de janvier 1842, la comtesse Laginska, parée de sa douce mélancolie, inspira la plus furieuse passion au comte de