Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/412

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s’aperçut alors des dix fautes de logique mondaine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre de sa vie. Quand madame de Listomère vit son mari entrant avec Eugène, elle ne put s’empêcher de rougir. Le jeune baron observa cette rougeur subite. Si l’homme le plus modeste conserve encore un petit fonds de fatuité dont il ne se dépouille pas plus que la femme ne se sépare de sa fatale coquetterie, qui pourrait blâmer Eugène de s’être alors dit en lui-même : — Quoi ! cette forteresse aussi ? Et il se posa dans sa cravate. Quoique les jeunes gens ne soient pas très-avares, ils aiment tous à mettre une tête de plus dans leur médaillier.

Monsieur de Listomère se saisit de la Gazette de France, qu’il aperçut dans un coin de la cheminée, et alla vers l’embrasure d’une fenêtre pour acquérir, le journaliste aidant, une opinion à lui sur l’état de la France. Une femme, voire même une prude, ne reste pas long-temps embarrassée, même dans la situation la plus difficile où elle puisse se trouver : il semble qu’elle ait toujours à la main la feuille de figuier que lui a donnée notre mère Ève. Aussi, quand Eugène, interprétant en faveur de sa vanité la consigne donnée à la porte, salua madame de Listomère d’un air passablement délibéré, sut-elle voiler toutes ses pensées par un de ces sourires féminins plus impénétrables que ne l’est la parole d’un roi.

— Seriez-vous indisposée, madame ? vous aviez fait défendre votre porte.

— Non, monsieur.

— Vous alliez sortir, peut-être ?

— Pas davantage.

— Vous attendiez quelqu’un ?

— Personne.

— Si ma visite est indiscrète, ne vous en prenez qu’à monsieur le marquis. J’obéissais à votre mystérieuse consigne quand il m’a lui-même introduit dans le sanctuaire.

— Monsieur de Listomère n’était pas dans ma confidence. Il n’est pas toujours prudent de mettre un mari au fait de certains secrets…

L’accent fermé et doux avec lequel la marquise prononça ces paroles et le regard imposant qu’elle lança firent bien juger à Rastignac qu’il s’était trop pressé de se poser dans sa cravate.

— Madame, je vous comprends, dit-il en riant ; je dois alors