Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/431

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fallu la fantaisie du premier président pour le mettre en évidence ? dit la belle madame de Chavoncourt.

— Après avoir bien étudié cette belle tête, reprit l’abbé de Grancey qui regarda finement son interruptrice en donnant à penser qu’il taisait quelque chose, et surtout après l’avoir entendu répliquant ce matin à l’un des aigles du barreau de Paris, je pense que cet homme, qui doit avoir trente-cinq ans, produira plus tard une grande sensation…

— Pourquoi nous en occuper ? Votre procès est gagné, vous l’avez payé, dit madame de Watteville en observant sa fille qui depuis que le vicaire-général parlait était comme suspendue à ses lèvres.

La conversation prit un autre cours, et il ne fut plus question d’Albert Savaron.

Le portrait esquissé par le plus capable des vicaires-généraux du diocèse eut d’autant plus l’attrait d’un roman pour Philomène qu’il s’y trouvait un roman. Pour la première fois de sa vie, elle rencontrait cet extraordinaire, ce merveilleux que caressent toutes les jeunes imaginations, et au-devant duquel se jette la curiosité, si vive à l’âge de Philomène. Quel être idéal que cet Albert, sombre, souffrant, éloquent, travailleur, comparé par mademoiselle de Watteville à ce gros comte joufflu, crevant de santé, diseur de fleurettes, parlant d’élégance en face de la splendeur des anciens comtes de Rupt ! Amédée ne lui valait que des querelles et des remontrances, elle ne le connaissait d’ailleurs que trop, et cet Albert Savaron offrait bien des énigmes à déchiffrer.

— Albert Savaron de Savarus, répétait-elle en elle-même.

Puis le voir, l’apercevoir !… Ce fut le désir d’une jeune fille jusque-là sans désir. Elle repassait dans son cœur, dans son imagination, dans sa tête les moindres phrases dites par l’abbé de Grancey, car tous les mots avaient porté coup.

— Un beau front, se disait-elle en regardant le front de chaque homme assis à la table, je n’en vois pas un seul de beau… Celui de monsieur de Soulas est trop bombé, celui de monsieur de Grancey est beau, mais il a soixante-dix ans et n’a plus de cheveux, on ne sait plus où finit le front.

— Qu’avez-vous, Philomène ? vous ne mangez pas…

— Je n’ai pas faim, maman, dit-elle. — Des mains de prélat…