Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/438

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Nantua, Lons-le-Saunier. On y réclama le concours des lumières et des efforts de tous les hommes studieux des trois provinces du Bugey, de la Bresse et de la Comté. Grâces aux relations de commerce et de confraternité, cent cinquante abonnements furent pris, eu égard au bon marché : la Revue coûtait huit francs par trimestre. Pour éviter de froisser les amours-propres de province par les refus d’articles, l’avocat eut le bon esprit de faire désirer la direction littéraire de cette Revue au fils aîné de monsieur Boucher, jeune homme de vingt-deux ans, très-avide de gloire, à qui les piéges et les chagrins de la manutention littéraire étaient entièrement inconnus. Albert conserva secrètement la haute main, et se fit d’Alfred Boucher un séide. Alfred fut la seule personne de Besançon avec laquelle se familiarisa le roi du barreau. Alfred venait conférer le matin dans le jardin avec Albert sur les matières de la livraison. Il est inutile de dire que le numéro d’essai contint une Méditation d’Alfred qui eut l’approbation de Savaron. Dans sa conversation avec Alfred, Albert laissait échapper de grandes idées, des sujets d’articles dont profitait le jeune Boucher. Aussi le fils du négociant croyait-il exploiter ce grand homme ! Albert était un homme de génie, un profond politique pour Alfred. Les négociants, enchantés du succès de la Revue, n’eurent à verser que trois dixièmes de leurs actions. Encore deux cents abonnements, la Revue allait donner cinq pour cent de dividende à ses actionnaires, la rédaction n’étant pas payée. Cette rédaction était impayable.

Au troisième numéro, la Revue avait obtenu l’échange avec tous les journaux de France qu’Albert lut alors chez lui. Ce troisième numéro contenait une Nouvelle, signée A. S., et attribuée au fameux avocat. Malgré le peu d’attention que la haute société de Besançon accordait à cette Revue accusée de libéralisme, il fut question chez madame de Chavoncourt, au milieu de l’hiver, de cette première Nouvelle éclose dans la Comté.

— Mon père, dit Philomène, il se fait une Revue à Besançon, tu devrais bien t’y abonner et la garder chez toi, car maman ne me la laisserait pas lire, mais tu me la prêteras.

Empressé d’obéir à sa chère Philomène, qui depuis cinq mois lui donnait des preuves de tendresse, monsieur de Watteville alla prendre lui-même un abonnement d’un an à la Revue de l’Est, et prêta les quatre numéros parus à sa fille. Pendant la nuit Philomène put dévorer cette Nouvelle, la première qu’elle lut de sa vie ; mais