Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une vieille dame, raide comme un camée. Un chasseur étincelant de dorures se tenait debout derrière. Francesca reconnut Rodolphe, et sourit de le retrouver comme une statue sur un piédestal. La voiture, que l’amoureux suivit de ses regards en gravissant la hauteur, tourna pour entrer par la porte d’une maison de campagne vers laquelle il courut.

— Qui demeure ici ? demanda-t-il au jardinier.

— Le prince et la princesse Colonne, ainsi que le prince et la princesse Gandolphini.

— N’est-ce pas elles qui rentrent ?

— Oui, monsieur.

En un moment un voile tomba des yeux de Rodolphe : il vit clair dans le passé.

— Pourvu, se dit enfin l’amoureux foudroyé, que ce soit sa dernière mystification !

Il tremblait d’avoir été le jouet d’un caprice, car il avait entendu parler de ce qu’est un capriccio pour une Italienne. Mais quel crime aux yeux d’une femme, d’avoir accepté pour une bourgeoise, une princesse née princesse ? d’avoir pris la fille d’une des plus illustres familles du moyen âge, pour la femme d’un libraire ! Le sentiment de ses fautes redoubla chez Rodolphe son désir de savoir s’il serait méconnu, repoussé. Il demanda le prince Gandolphini en lui faisant porter une carte, et fut aussitôt reçu par le faux Lamporani, qui vint au-devant de lui, l’accueillit avec une grâce parfaite, avec une affabilité napolitaine, et le promena le long d’une terrasse d’où l’on découvrait Genève, le Jura et ses collines chargées de villas, puis les rives du lac sur une grande étendue.

— Ma femme, vous le voyez, est fidèle aux lacs, dit-il après avoir détaillé le paysage à son hôte. Nous avons une espèce de concert ce soir, ajouta-t-il en revenant vers la magnifique maison Jeanrenaud, j’espère que vous nous ferez le plaisir, à la princesse et à moi, d’y venir. Deux mois de misères supportées de compagnie équivalent à des années d’amitié.

Quoique dévoré de curiosité, Rodolphe n’osa demander à voir la princesse, il retourna lentement aux Eaux-Vives, préoccupé de la soirée. En quelques heures, son amour, quelque immense qu’il fût déjà, se trouvait agrandi par ses anxiétés et par l’attente des événements. Il comprenait maintenant la nécessité de se faire illustre pour se trouver, socialement parlant, à la hauteur de son idole.