Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/462

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clouent plus avant au cœur les attachements réels. Peut-être est-ce de ces clous épars que Bossuet a parlé en leur comparant la rareté des moments heureux de notre existence, lui qui ressentit si vivement et si secrètement l’amour.

Après le plaisir d’admirer soi-même une femme aimée, vient celui de la voir admirée par tous : Rodolphe eut alors les deux à la fois. L’amour est un trésor de souvenirs, et quoique celui de Rodolphe fut déjà plein, il y ajouta les perles les plus précieuses : des sourires jetés en côté pour lui seul, des regards furtifs, des inflexions de chant que Francesca trouva pour lui, mais qui firent pâlir de jalousie la Tinti, tant elles furent applaudies. Aussi, toute sa puissance de désir, cette forme spéciale de son âme, se jeta-t-elle sur la belle Romaine qui devint inaltérablement le principe et la fin de toutes ses pensées et de ses actions. Rodolphe aima comme toutes les femmes peuvent rêver d’être aimées, avec une force, une constance, une cohésion qui faisait de Francesca la substance même de son cœur ; il la sentit mêlée à son sang comme un sang plus pur, à son âme comme une âme plus parfaite ; elle allait être sous les moindres efforts de sa vie comme le sable doré de la Méditerranée sous l’onde. Enfin, la moindre aspiration de Rodolphe fut une active espérance.

Au bout de quelques jours, Francesca reconnut cet immense amour ; mais il était si naturel, si bien partagé, qu’elle n’en fut pas étonnée : elle en était digne.

— Qu’y a-t-il de surprenant, disait-elle à Rodolphe en se promenant avec lui sur la terrasse de son jardin après avoir surpris un de ces mouvements de fatuité si naturels aux Français dans l’expression de leurs sentiments, quoi de merveilleux à ce que vous aimiez une femme jeune et belle, assez artiste pour pouvoir gagner sa vie comme la Tinti, et qui peut donner quelques jouissances de vanité ? Quel est le butor qui ne deviendrait alors un Amadis ? Ceci n’est pas la question entre nous : il faut aimer avec constance, avec persistance et à distance pendant des années, sans autre plaisir que celui de se voir aimé.

— Hélas ! lui dit Rodolphe, ne trouvez-vous pas ma fidélité dénuée de tout mérite en me voyant occupé par les travaux d’une ambition dévorante ? Croyez-vous que je veuille vous voir échanger un jour le beau nom de princesse Gandolphini pour celui d’un homme qui ne serait rien ? Je veux devenir un des hommes les plus