Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/470

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— J’en ai naturellement entendu parler. Elle est née princesse Soderini, c’est une Florentine, une très-grande dame, et tout aussi riche que son mari, qui possède une des plus belles fortunes de la Lombardie. Leur villa sur le lac Majeur est une des curiosités de l’Italie.

Deux jours après, Mariette remit la lettre suivante à Philomène.


ALBERT SAVARON À LÉOPOLD HANNEQUIN.

« Eh ! bien, oui, mon cher ami, je suis à Besançon pendant que tu me croyais en voyage. Je n’ai rien voulu te dire qu’au moment où le succès commencerait, et voici son aurore. Oui, cher Léopold, après tant d’entreprises avortées où j’ai dépensé le plus pur de mon sang, où j’ai jeté tant d’efforts, usé tant de courage, j’ai voulu faire comme toi : prendre une voie battue, le grand chemin, le plus long, le plus sûr. Quel bond je te vois faire sur ton fauteuil de notaire ! Mais ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de changé à ma vie intérieure, dans le secret de laquelle il n’y a que toi au monde, et encore sous les réserves qu’elle a exigées. Je ne te le disais pas, mon ami ; mais je me lassais horriblement à Paris. Le dénoûment de la première entreprise où j’ai mis toutes mes espérances et qui s’est trouvée sans résultats par la profonde scélératesse de mes deux associés, d’accord pour me tromper, pour me dépouiller, moi, à l’activité de qui tout était dû, m’a fait renoncer à chercher la fortune pécuniaire après avoir ainsi perdu trois ans de ma vie, dont une année à plaider. Peut-être m’en serais-je plus mal tiré, si je n’avais pas été contraint, à vingt ans, d’étudier le Droit. J’ai voulu devenir un homme politique, uniquement pour être un jour compris dans une ordonnance sur la pairie sous le titre de comte Albert Savaron de Savarus, et faire revivre en France un beau nom qui s’éteint en Belgique, encore que je ne sois ni légitime, ni légitimé ! »

— Ah ! j’en étais sûre, il est noble ! s’écria Philomène en laissant tomber la lettre.

« Tu sais quelles études consciencieuses j’ai faites, quel journaliste obscur, mais dévoué, mais utile, et quel admirable secrétaire je fus pour l’homme d’État qui, d’ailleurs, me fut fidèle en 1829. Replongé dans le néant par la révolution de juillet, alors que mon nom commençait à briller, au moment où, maître des re-