Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/473

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bibliothèque dans onze caisses, j’ai acheté les livres de droit qui pouvaient m’être utiles, et j’ai mis tout, ainsi que mon mobilier, au roulage pour Besançon. J’ai pris mes diplômes, j’ai réuni mille écus et suis venu te dire adieu. La malle-poste m’a jeté dans Besançon, où j’ai, dans trois jours de temps, choisi un petit appartement qui a vue sur des jardins ; j’y ai somptueusement arrangé le cabinet mystérieux où je passe mes nuits et mes jours, et où brille le portrait de mon idole, de celle à laquelle ma vie est vouée, qui la remplit, qui est le principe de mes efforts, le secret de mon courage, la cause de mon talent. Puis, quand les meubles et les livres sont arrivés, j’ai pris un domestique intelligent, et suis resté pendant cinq mois comme une marmotte en hiver. On m’avait d’ailleurs inscrit au tableau des avocats. Enfin, on m’a nommé d’office pour défendre un malheureux aux Assises, sans doute pour m’entendre parler au moins une fois ! Un des plus influents négociants de Besançon était du jury, il avait une affaire épineuse : j’ai tout fait dans cette cause pour cet homme, et j’ai eu le succès le plus complet du monde. Mon client était innocent, j’ai fait dramatiquement arrêter les vrais coupables qui étaient témoins. Enfin la Cour a partagé l’admiration de son public. J’ai su sauver l’amour-propre du juge d’instruction en montrant la presque impossibilité de découvrir une trame si bien ourdie. J’ai eu la clientèle de mon gros négociant, et je lui ai gagné son procès. Le Chapitre de la cathédrale m’a choisi pour avocat dans un immense procès avec la Ville qui dure depuis quatre ans : j’ai gagné. En trois affaires, je suis devenu le plus grand avocat de la Franche-Comté. Mais j’ensevelis ma vie dans le plus profond mystère, et cache ainsi mes prétentions. J’ai contracté des habitudes qui me dispensent d’accepter toute invitation. On ne peut me consulter que de six heures à huit heures du matin, je me couche après mon dîner, et je travaille pendant la nuit. Le vicaire-général, homme d’esprit et très-influent, qui m’a chargé de l’affaire du Chapitre, déjà perdue en première instance, m’a naturellement parlé de reconnaissance. — « Monsieur, lui ai-je dit, je gagnerai votre affaire, mais je ne veux pas d’honoraires, je veux plus… (haut le corps de l’abbé) sachez que je perds énormément à me poser comme l’adversaire de la Ville ; je suis venu ici pour en sortir député, je ne veux m’occuper que d’affaires commerciales, parce que les commerçants font les députés, et ils se défieront de moi si je plaide